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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

logique, à certaines parties de la physique, par exemple ce qui est relatif aux principes et à l’âme, masse indigeste placée sur le faîte même des sciences par les hommes pleins d’emphase qui s’admirent et sont épris d’eux-mêmes. Pour nous, méprisant cette pompe, nous désirons seulement que l’on admette une science qui soit le réservoir des axiomes, non de ceux qui sont propres à chaque science particulière, mais de ceux qui sont communs à plusieurs[1]. »

Après cette condamnation en bloc de toutes les philosophies antécédentes, après cet oubli ou cette méconnaissance de la profonde théorie des premiers principes contenue dans la Métaphysique et dans la Logique d’Aristote, on s’attend de la part de Bacon à un éclair de génie. Ou espère du moins qu’il va tracer d’une main ferme le cadre de la doctrine des axiomes dont il déplore l’absence, et qu’il déterminera les rapports qui la rattachent à la métaphysique ou les différences qui l’en séparent. Voici comment il répond à cette attente.

D’abord, la plupart des maximes citées en exemple dans le de Augmentis sont dépourvues du caractère d’universalité propre aux axiomes. Que l’on soutienne qu’il n’y a point de principes universels, point d’axiomes par conséquent, mais seulement des lois plus ou moins générales, c’est une opinion que tout le monde n’admet pas, mais qui a le mérite d’être claire et nette. Énumérer une série de lois générales et les baptiser du nom d’axiomes sans tenir compte de leur degré de généralité, et sans autre explication, c’est s’embrouiller et égarer les autres. Mais il y a plus : certains axiomes que Bacon essaie d’identifier et d’étendre à deux sciences différentes, résistent à cet effort et demeurent distincts. Ainsi notre réformateur rencontre ce principe : « Si à deux quantités inégales on ajoute deux quantités égales, les sommes sont inégales. » Cette règle de mathématiques lui paraît être aussi une règle de morale, et en tant que commune à deux sciences, il la considère comme un axiome. Axiome, soit ; mais axiome de morale, non. Pour justifier l’unification qu’il propose. Bacon dit : « Ne pas donner à des hommes inégaux des choses inégales, ce serait commettre une grave injustice[2]. » Ce moraliste, ce politique ne s’aperçoit pas qu’un axiome de mathématiques énonce ce qui sera infailliblement dans un cas donné, tandis que la règle morale proclame seulement ce qui doit être accompli dans telle circonstance, et qu’entre les deux, il y a toute la distance qui sépare le monde des choses nécessaires de la

  1. De Augmentis, I. III, cap. I, t. I, p. 162.
  2. De Augmentis, liv. III, ch. I, Bouillet, t. I, p. 163.