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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

illustre compatriote M. Charles de Rémusat, si compétent en matière de philosophie anglaise et particulièrement en ce qui touche Bacon, a mêlé à peu près les mêmes réserves aux mêmes éloges. « La philosophie inductive qui lui doit son nom est loin d’être entièrement son ouvrage, et probablement elle aurait existé sans lui. Il n’a pas plus formé Newton qui l’a suivi que Galilée qui l’a précédé… » Cependant « Bacon a réellement créé une philosophie des sciences, et il l’a mise sur la voie qui mène à la vérité. Si toutes ses vues de détail ne peuvent être adoptées, son coup d’œil général est aussi juste qu’il est vaste[1]. » Beaucoup plus récemment M. Alexandre Bain a écrit : « Le service essentiel que Bacon a rendu à la science a été sa vive protestation en faveur de la méthode qui fonde les généralisations sur une accumulation patiente et une comparaison soigneuse des faits… » — « Mais entre les mains de Bacon, ils (les exemples ou instantivæ prerogativæ) restent relativement sans résultats et ne peuvent même pas, dans sa méthode, suggérer l’idée de procédés plus parfaits. La raison en est que Bacon n’a conçu de l’induction qu’une idée très-vague[2]. » Un autre philosophe anglais de l’époque présente ne parle guère autrement. D’après lui, Bacon a été surtout un initiateur, il a eu le mérite de crier bien haut, d’être le héraut d’une ère nouvelle, de donner à la recherche scientifique la dignité et l’espoir. Mais tout en insistant sur l’importance de la méthode expérimentale, il s’est totalement trompé sur les procédés à suivre, et Harvey n’a pas été trop injuste, en disant de lui : Il parle de la science comme un lord chancelier[3]. À ces jugements des compatriotes de Bacon assurément les mieux disposés à l’heure qu’il est envers la méthode expérimentale et envers celui qui l’a le plus mise en honneur chez eux, nous joindrons l’opinion d’un Allemand, du plus baconien de tous les Allemands, je veux dire de M. Kuno Fischer. M. Kuno Fischer reconnaît avec raison et sans aucune difficulté, que François Bacon a bien plutôt indiqué la route nouvelle à suivre qu’il ne l’a parcourue. Le faisant parler lui-même, il lui prête le langage suivant : « C’est assez de mettre l’humanité dans la voie de son éducation progressive, de l’armer des moyens de vaincre, afin qu’elle augmente sa science et du même coup sa souveraineté ; sur cette

  1. Charles de Rémusat, Histoire de la philosophie anglaise depuis Bacon jusqu’à Locke. Paris, Didier, 1875 ; T. 1er , page 156. Voir aussi, du même auteur, Bacon, sa vie, son temps, sa philosophie, etc. Paris, Didier, 1858.
  2. Alexandre Bain. Logique déductive et inductive, traduit de l’anglais par Gabriel Compayré, tome II, pages 597 et 601. Paris, Germer Baillière, 1875.
  3. V. La Psychologie anglaise contemporaine, par Th. Ribot, 2e  édition, p. 353. — M. Th. Ribot résume ici le livre de M. G. Lewes : History of philosophy, t. II, pp. 119, 120, 126.