Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
revue philosophique

fait le plus de découvertes dans la science, sont ceux qui ont le moins connu Bacon, tandis que ceux qui l’ont lu et médité n’y ont guère réussi[1]. » Entre l’avis de Laplace et celui de M. J. de Liebig, même contraste. « En indiquant la vraie méthode de s’élever aux causes générales des phénomènes, — écrit le premier, — ce grand philosophe a contribué aux progrès immenses que l’esprit humain a faits dans le beau siècle où il a terminé sa carrière[2]. » Et M. J. de Liebig : « Je soutiens que Bacon n’a pas eu la moindre influence sur l’étude de la nature de son époque et de la nôtre, parce qu’il n’a jamais formulé clairement et intelligiblement aucun principe scientifique général d’une portée quelconque, et qu’il ignorait la véritable tâche de la science, ainsi que les moyens de réaliser cette tâche. Il n’y a que l’homme établi dans l’enceinte même de la science qui soit capable de savoir ce dont elle manque et quels sont les obstacles qui s’opposent à ses progrès[3]. »

En présence de ces sentences contradictoires, plus d’un lecteur, dans l’avenir, hésitera embarrassé et aura quelque droit de croire que, pour être à ce point contesté, le mérite de Bacon, au moins en tant que réformateur des sciences, est contestable. Je n’ai pas l’intention de chercher ici ce qui, tout pesé et tout débattu, peut rester à l’avoir de celui qui, ayant surtout travaillé pour les savants, est aujourd’hui si durement désavoué par eux. Ce décompte a été fait par des arbitres autorisés qui, bien que partis de points différents de l’horizon philosophique, se sont rencontrés en un jugement presque le même et qui peut dès lors être considéré comme définitif. Ainsi M. Macaulay se défend de prétendre que Bacon ait inventé la méthode inductive, ou même qu’il l’ait le premier correctement analysée. Il trouve qu’à cet égard l’auteur du Novum organum s’est fait plus d’une illusion. « Mais celui-ci, — d’après M. Macaulay, — fut le premier à diriger les esprits des philosophes, longtemps absorbés par les disputes de mots, vers la découverte de vérités nouvelles et utiles, et par là, il donna tout d’un coup à la méthode d’induction une importance et une dignité qui jusqu’alors n’avaient pas été son partage[4]. » Notre

  1. Introduction à la médecine expérimentale, p. 393.
  2. Théorie analyt. des probabilités, p. XCV.
  3. Lord Bacon, par Justus de Leibig, trad. par Pierre de Tclhihatchef, p. 247. Paris, 1866.
  4. « Bacon was not, as we hâve already said, the inventer of the inductive method. He was not even the person who first analysed the inductive method correctly… But he was the person who first turned the minds of spéculative men, long occupied in verbal disputes, to the discovery of new and useful truth ; and, by doing so, he at once gave to the inductive method an importance and dignity which hat never before belonged to it. »

    Critical and historical essays… by T. B. Macaulay. London, 1851, p. 401.