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caractère formel, accidentel et limitatif du contenu pratique est définitivement supprimé. Maintenant on se demande : Dans lequel de ces moments le délit prend-il naissance ? Sans aucun doute dans le second moment, dans celui du libre arbitre. Mais le libre arbitre résulte de deux éléments : la sensibilité pratique et l’intellect réfléchissant. Ces deux éléments doivent donc se retrouver dans la faute, quelle qu’elle soit. Lequel des deux est l’auteur de l’égarement ? Il est encore évident que ce n’est pas l’intellect ; c’est lui qui est égaré. L’origine du méfait réside donc en dernière analyse dans l’instinct (3e mom.), qui tente de se subordonner la liberté (1er  mom.) par le moyen du libre arbitre (2e  mom.). « Si donc dans le délit d’homicide sont toujours présentes la concomitance et la coefficience de l’élément instinctif, et si un tel élément est, comme tout le monde l’admet avec Hegel, une restriction de la liberté de l’acte, il en résulte nécessairement que l’homicide ne doit pas être puni comme s’il y avait eu liberté pleine et entière, mais doit être puni de façon que la peine soit proportionnée à la liberté partielle de l’acte. Cela veut dire, en d’autres termes, que la peine de mort n’est pas équivalente à l’homicide, mais le surpasse en valeur » (page 68).

Tel est le raisonnement de M. d’Ercole ; nous n’y avons rien ajouté, on peut le croire, et nous l’avons même débarrassé de quelques broussailles. Était-il nécessaire de déployer tout cet appareil pour arriver à dire qu’il y a toujours pour un crime donné quelque circonstance atténuante ? C’est là que devait aboutir cette accumulation de distinctions et de formules ? Pourquoi ne pas commencer parla, et ne pas parler dès le début le langage de tout le monde ? Y a-t-il là-dessous autre chose que cette banalité contestable ? alors j’avoue ne plus bien comprendre comment l’homme se trouve divisé en trois compartiments dont l’un est coupable et les deux autres innocents, dont l’un doit être puni et les deux autres épargnés. Et encore je me trompe : il n’y en a qu’un d’innocent (c’est la liberté pure) ; car le libre arbitre est à moitié coupable. Il faudra donc établir une peine qui soit de grandeur égale à ces deux tiers ou à cette moitié de l’homme engagés dans la faute, ni plus, ni moins, et laisser indemne la partie qui n’y a point trempé. C’est peut-être là qu’est la profondeur de l’argument. Mais comment s’y prendre pour punir une fraction d’homme ? c’est ce qui m’échappe.

Hegel recourt encore à cet argument que M. d’Ercole critique avec non moins de sévérité. Le coupable, par son acte même, nie le droit qu’il viole et autorise les autres hommes à méconnaître ce droit en ce qui le concerne. En d’autres termes il se dépouille du droit qu’il blesse en autrui. Je traduis la réponse de M. d’Ercole. « Il ne suit pas de cela que ce droit établi par le criminel doive être vrai, suivant l’expression hégélienne, en soi et par soi, doive être vrai absolument. Et cela ne s’ensuit pas, parce que l’acte du criminel, quoique procédant d’un être rationnel, est toutefois un acte irrationnel, et un acte irrationnel ne peut établir ni loi ni principe d’aucune sorte. » La distinction est juste