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elles-mêmes et avec Dieu ; le monde est peint tout entier en elles dès l’origine, et, quelle que soit la clarté à laquelle puisse parvenir cette image, jamais une substance ne saisit une autre substance, ni directement ni indirectement. D’après M. Basevi les représentations que chaque substance a des autres sont des signes véritables de la présence de ces autres substances : le lien qui les unit n’est pas l’intuition directe, mais ce n’est pas non plus un simple parallélisme de représentations. Les.idées par lesquelles une substance se manifeste à une autre sont comme une traduction de sa nature : la traduction masque le texte, qui reste à jamais inaccessible en soi ; mais en même temps elle le laisse transparaître autant qu’il en est besoin pour qu’on en pénètre le sens. Il y a donc communication réelle quoique indirecte entre les êtres. En second lieu Leibniz a fait les monades trop dépendantes de l’impulsion première qu’elles ont reçue de leur auteur ; dans ce songe qu’elles rêvent l’ordre des images est fatal. Au contraire les substances, selon M. Basevi, restent libres d’interpréter le monde à leur gré.

Cependant leur liberté ne va pas jusqu’à produire les idées fonda— j mentales par lesquelles elles sont mises en communication. À aucun degré de l’échelle des êtres la pensée autonome ne suffit à trouver le ton voulu pour être d’accord avec la nature des choses. Les heureuses rencontres dont se compose l’harmonie universelle sont le fruit d’une inspiration supérieure : elles résultent non de la réflexion, mais de la croyance. Le plus souvent cette croyance devance même l’apparition de son objet ; en sorte que des êtres qui ne se sont jamais rencontrés se trouvent pour ainsi dire en consonance anticipée ; ils ne se connaissent pas, mais ils se devinent. Ce fait de la divination réciproque de toutes les parties du cosmos a frappé si vivement l’auteur que nous étudions, qu’il y a cru trouver le principe de toute une philosophie, et sa généralité lui a paru telle qu’il en a proclamé l’universalité absolue. Le monde de la nature comme celui de la pensée ont dans ce terme métaphorique leur commune explication.

On aime à suivre l’auteur quand il expose l’unité de l’univers et nous montre que toutes les existences y sont" analogues. Il plaît à un esprit philosophique d’admettre que les existences inférieures sont les éléments des existences supérieures, et qu’en retour celles-ci conduisent à celles-là comme le tout aux éléments qui le composent. Mais on regrette qu’il n’ait pas pris la peine de nous expliquer ce que peut être la divination, là où il n’y a pas de pensée, comme par exemple dans la molécule du cristal. On doute que des phrases comme celles-ci aient un sens : « La première et la plus simple manifestation du mouvement dans le monde est l’attraction moléculaire. Dans le fait même de la rencontre non fortuite mais prédéterminée de deux molécules, celles-ci nous présentent un premier essai de la divination. » Que signifie la divination réciproque de l’œil et de la lumière, de l’oreille et du son ? L’exposition gagnerait à être complétée de ce côté. Peut-être