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montrer plus tard par des calculs plus exacts que les premiers. L’histoire de sa pensée présente un second fait, de même nature, à l’occasion de la découverte de sa troisième loi[1]. Voici comment il nous le raconte lui-même : « Après avoir trouvé les dimensions véritables des orbites, grâce aux observations de Brahé, et à l’effort continu d’un long travail, enfin j’ai découvert la proportion des temps périodiques à l’étendue de ces orbites. Et si vous voulez en savoir la date précise, c’est le 8 mars de cette année 1618, que d’abord conçue dans mon esprit, puis maladroitement essayée par des calculs, partant rejetée comme fausse, puis reproduite, le 15 mai, avec une nouvelle énergie, elle a surmonté les ténèbres de mon intelligence, si pleinement confirmée par mon travail de dix-sept ans sur les observations de Brahé, et par mes propres méditations si parfaitement concordantes, que je croyais d’abord rêver et faire quelque pétition de principe ; mais plus de doute : c’est une proposition très-certaine et très-exacte[2]. » On voit ici, tout à fait à nu, le procédé d’invention : en premier lieu les observations accumulées par Tycho-Brahé et par Kepler lui-même, puis l’hypothèse dont la date est fixée le 8 mars 1618, enfin la vérification qui échappe d’abord par suite d’erreurs de calcul, et qui se trouve ensuite dans des calculs exacts. En terminant l’ouvrage qui renferme le récit qu’on vient de lire, l’auteur marque les degrés croissants de la lumière qui ont éclairé sa théorie. « Depuis huit mois, j’ai vu le premier rayon de lumière ; depuis trois mois j’ai vu le jour ; enfin depuis peu de jours j’ai vu le soleil de la plus admirable contemplation. »

L’histoire intellectuelle de Newton présente des incidents tout semblables. C’est en 1666 que la loi de la gravitation s’offrit pour la première fois à sa pensée. Il en déduisit d’abord les conséquences pour la lune ; mais les résultats de ses calculs ne concordant pas avec les observations, il renonça pour un temps à sa théorie. Une des bases de ses calculs était la mesure du méridien. Il apprend, en 1670, que l’Académie des Sciences de Paris venait d’obtenir une nouvelle mesure du méridien qui différait de celle qu’on avait admise jusqu’alors. Les calculs repris sur cette base nouvelle pouvaient confirmer l’hypothèse. Cette pensée lui causa une agitation telle, qu’il chargea un de ses amis de reprendre ses calculs que, dans son émotion, il ne se sentait pas capable de faire lui-même. Les calculs cette fois se trouvèrent pleinement d’accord avec les résultats de l’obser-

  1. Les carrés des temps des révolutions des planètes autour du soleil sont proportionnels aux cubes des grands axes des orbites.
  2. Harmonices mundi, Libri quinque.