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naville. — hypothèse dans la science

tinuelle : ils oublient dans le fait de la connaissance la part de l’esprit, du sujet, par une erreur analogue et contraire à celle du rationalisme qui oublie la part de l’objet. Les données qu’ils rapportent à l’observation seule proviennent toujours de la combinaison de l’expérience avec les lois de la raison, lois qui se manifestent même dans les perceptions les plus élémentaires. L’observation pure, si elle pouvait produire quelque chose, ne fournirait jamais que des faits égrenés, sans lien, sans rapport entre eux, qui seraient la matière brute de la science, sans pouvoir revêtir les caractères de la science même. À l’aphorisme qu’il n’y a rien dans l’intelligence que ce qui procède des sens, Leibniz a opposé cette réserve magistrale qui suffit à ruiner les bases de l’empirisme : nisi ipse intellectus. Il est évident que la théorie de la méthode, qui cherche l’origine de toutes nos pensées dans les impressions reçues du dehors, ne saurait faire aucune place à la spontanéité intellectuelle dont l’hypothèse est le résultat. Ses conclusions sous ce rapport senties mêmes que celles du rationalisme.

Nous venons de signaler une double tentative pour arriver au monisme de la méthode, en affirmant que tout vient de la raison, ou que tout procède de l’expérience. Ces deux affirmations entrent en lutte ; et cette lutte se retrouve, sous des formes variées, à toutes les époques de l’histoire de l’esprit humain. Elle n’a pas d’issue possible, parce que chacune des affirmations opposées renferme une part de vérité qui fait défaut à l’autre. Euclide, selon le témoignage des historiens de l’antiquité, enseignait que c’est l’œil qui produit la lumière ; quelques modernes ne seraient pas éloignés de la pensée que c’est la lumière qui a produit l’œil. Il est manifeste pourtant que l’œil ne fait pas la lumière et que la lumière ne fait pas l’œil, mais que ces deux facteurs du fait de la vision matérielle sont reliés par une harmonie préétablie. Il en est de même de la vision intellectuelle : l’expérience ne fait pas la raison, la raison ne fait pas l’expérience, mais le savoir résulte de leur harmonie.

Bien que la lutte de l’empirisme et du rationalisme remplisse les annales de la philosophie, les esprits qui ne sont pas placés sous une influence systématique prononcée admettent en général, dans le fait de la connaissance, une participation de l’expérience et une participation de la raison, c’est-à-dire un dualisme. Kant, héritier sous ce rapport des travaux de Leibniz, est, chez les modernes, le représentant le plus illustre de ce point de vue. Dans la partie la plus solide de la Critique de la raison pure, il intervient comme un médiateur plein d’autorité entre les rationalistes et les empiriques. Il démontre plus rigoureusement qu’on ne l’avait fait avant lui, l’in-