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mais la théorie de la science se trouve ici en plein désaccord avec la science elle-même. On commence à reconnaître sur ce point la vérité, comme je l’ai dit en commençant ; mais, si l’on consulte les logiques les plus répandues et la plupart des traités de philosophie à l’article de l’origine de nos connaissances, on trouvera, ou l’hypothèse passée sous silence (c’est le cas de presque toutes les logiques du xviie siècle), ou l’hypothèse proscrite (c’est le cas de la plupart des logiques du xviiie siècle), ou l’hypothèse indiquée comme un procédé auquel on est contraint de recourir en de certains cas exceptionnels, et comme en désespoir de cause, lorsque les procédés réguliers de l’induction et de la déduction ne suffisent pas. Le facteur essentiel de la science se trouve donc supprimé, ou relégué dans une place secondaire ; et presque toujours il est marqué d’un signe de méfiance. D’où provient ce désaccord entre la marche réelle de la science et sa théorie ?


Le discrédit de l’hypothèse provient en partie d’une réaction naturelle contre l’esprit de système et l’abus des conjectures sans fondement ; mais il a des sources plus profondes dans le développement de la philosophie. Le rationalisme et l’empirisme en effet, qui jouent un si grand rôle dans l’histoire de la pensée, sont deux méthodes opposées pour tout le reste, mais qui se trouvent d’accord pour méconnaître dans la formation de la science, la spontanéité de la pensée individuelle, dont l’hypothèse est le produit.

Les mathématiques, vu la simplicité de leur objet, ont été la première science rigoureusement établie ; et c’est dans la considération des procédés employés par les géomètres qu’un grand nombre d’esprits, à dater de Pythagore, ont puisé l’idée générale de la méthode. Les mathématiques ne demandent à l’expérience que les perceptions nécessaires pour éveiller l’idée du nombre et la conception de l’espace. À partir de cette base expérimentale étroite et ferme, les axiomes, les définitions et les lois de l’intelligence suffisent à tout. Il en est résulté que la logique de la déduction a été faite la première. Aristote n’était pas un génie mathématique ; mais, bien que l’étude de la nature ait imprimé à ses spéculations philosophiques quelques-uns de leurs principaux caractères, sa logique est spécialement celle des sciences déductives. En puisant l’idée de la méthode universelle dans les mathématiques, on n’a pas fait la place de l’hypothèse, parce qu’on a confondu le procédé de démonstration avec le procédé d’invention ; on n’a pas remarqué que pour rattacher un théorème à ses antécédents logiques, il faut posséder ce théorème, et que, pour le posséder, il est nécessaire de le supposer. J’aurai l’occasion de rêve-