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à l’observation ; ils se contentent d’observer et de décrire les objets et les phénomènes sans aucun souci de l’interprétation métaphysique ou même simplement mathématique qu’on en peut donner ; leur chef est Galilée et l’école qu’ils forment est celle de l’expérience. La seconde famille est celle des mathématiciens dont Descartes est le maître ; les esprits de cette famille prennent pour axiome que « le problème de l’univers est un problème de mécanique, » et que le phénomène du mouvement est le phénomène unique, auquel tous les autres se ramènent et qui les explique tous ; ceux-là ont dans la puissance de la méthode une foi absolue ; leur procédé consiste à déterminer d’abord par une critique exacte toutes les opérations de l’esprit, puis à former de ces opérations certaines combinaisons, qui, conduites dans un ordre convenable, amènent toujours au résultat cherché. Ils ont l’ambition de gouverner leur intelligence comme un habile artiste gouverne et surveille le jeu d’une machine dont il connaît parfaitement tous les ressorts ; leur école est celle de l’analyse. Les esprits de la troisième famille prennent Leibniz pour modèle, ce sont des voyants ; ils sont pénétrés de ce principe que, si la fécondité de la nature est inépuisable, les ressources de l’esprit sont sans limites, que le génie philosophique et scientifique a dans ses démarches une souplesse, une liberté d’allure qui échappe et qui doit échapper à toute direction, que les nuances infinies, que la nature multiplie dans ses manifestations, ne peuvent être saisies que par de soudaines. illuminations, dont le secret ne sera jamais pénétré. Cette dernière école est celle de l’intuition.

Je laisse naturellement aux lecteurs de Papillon le soin d’apprécier la valeur de cette idée principale qui domine tout le livre. Je crois que, si Papillon avait étudié plus profondément Galilée, il aurait reconnu qu’on ne peut représenter le vrai créateur de la physique mathématique, le fondateur de la dynamique, comme un pur observateur dédaigneux de toute interprétation mathématique des phénomènes de la nature. Il me semble aussi que le mot d’analyse est ici bien détourné du sens précis que l’usage a consacré ; mais je ne veux pas insister. Ce qui est incontestable, ce sont les rapports nouveaux et bien souvent certains que le système de Papillon fait découvrir entre les ouvrages et les auteurs les plus connus. Newton n’est plus l’adversaire de Descartes ; il devient le plus grand mathématicien et physicien de l’école cartésienne, comme Locke en devient le psychologue le plus circonspect, le plus exact et le plus judicieux ; tandis que les merveilleuses analyses de Condillac sur les méthodes et sur le langage apparaissent comme le commentaire et le développement des Règles pour la Direction de l’Esprit. D’autre part Buffon se trouve placé tout près de Gœthe parmi les continuateurs de Leibniz. Il y a là certes de quoi dérouter toutes les habitudes de l’enseignement classique, mais l’ouvrage de Papillon n’a pas la prétention d’être un manuel d’histoire de la philosophie.