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j. soury. — histoire du matérialisme

progrès du matérialisme. Toutefois la liberté des mœurs et de la pensée eut en Angleterre un destin tout autre qu’en France au siècle suivant. Le matérialisme aboutit chez les Français au culte de la volupté ; chez les Anglais, il mena à la pratique de l’économie politique, à la prospérité nationale et aux progrès des sciences industrielles. Enfin, dans l’Angleterre du xviie siècle comme dans celle de nos jours, dans la patrie de Robert Boyle et d’Isaac Newton comme dans celle de Darwin et de Faraday, on retrouve unies ou du moins coexistantes chez tous les penseurs éminents, les conceptions naturelles les plus décidément matérialistes et la vénération la plus profonde pour les dogmes et les habitudes de la tradition religieuse.

Les deux savants anglais de la période où nous sommes arrivés qui contribuèrent le plus à introduire dans les sciences de la nature les principes et les méthodes du matérialisme furent Boyle et Newton. Par Boyle et par Newton la philosophie de Gassendi et de Hobbes pénétra dans les sciences positives, et les découvertes de ces inventeurs assurèrent son empire. Aussi bien, c’est la méthode, c’est l’enquête dans le champ des recherches expérimentales qui passionnent ces deux grands esprits : ils s’écartent des questions spéculatives et se détournent des problèmes évidemment insolubles dans l’état de la science contemporaine. Tous deux sont des empiriques déterminés, bien qu’à considérer le génie de Newton pour les mathématiques et la portée de son principe de la gravitation, on puisse être tenté d’admettre chez lui une prédominance réelle des facultés déductives. Avec Boyle, la chimie entra dans une ère nouvelle ; la rupture avec l’alchimie et avec les idées d’Aristote fut enfin consommée.

Jamais peut-être on n’a poussé plus loin la méthode et le contrôle perpétuel de l’expérience dans les sciences. Boyle avait de l’essence des corps une idée purement matérialiste ; il l’avait en partie puisée dans le Compendium de la philosophie d’Épicure de Gassendi, qu’il loue fort et regrette d’avoir connu tard. Même éloge d’Épicure dans d’autres traités de Boyle, accompagné, il est vrai, des plus vives et des plus sincères protestations contre ses conséquences athées. Boyle compare l’univers à l’horloge de la cathédrale de Strasbourg : c’est pour lui un grand mécanisme mis en mouvement par des lois fixes et déterminées. C’est pour cela précisément qu’il doit avoir eu, comme la fameuse horloge, un auteur intelligent. Du matérialisme d’Épicure et de Lucrèce, il rejette surtout la théorie transformiste et évolutionniste d’Empédocle qui explique la finalité des organismes sans recourir à aucune prescience divine. Certes, il essaie de rendre raison