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l’investigation psychologique des races inférieures est totalement livrée au hasard. On confie l’étude géologique d’un pays à un géologue, l’étude de sa flore à un botaniste, l’étude anatomique d’une race à un anatomiste ; mais s’agit-il d’étudier les caractères psychologiques et moraux d’une tribu, il semble à beaucoup de gens qu’il n’est besoin ni de préparations, ni de facultés spéciales d’observation. Et cependant nulle investigation n’est plus difficile. Il faut, à l’aide de langues informes et mal connues, pénétrer des sentiments tout différents des nôtres ; il faut résister à cette illusion — naturelle aux esprits novices — de prêter à ces races nos propres manières de penser et de sentir ; il faut démêler leurs vraies croyances religieuses à travers les mystères dont ils s’entourent : bref, il faut faire la traduction perpétuelle d’un texte, dont chaque mot prête au contre-sens.

II

Waitz a recueilli des faits, mais sans arriver, à ce qu’il semble, à une conception claire de la psychologie des races. Il a étudié surtout les formes inférieures du développement humain : — étude qui sera peut-être un jour aussi féconde que celle des organismes inférieurs l’a été en zoologie. — Mais il s’en est tenu là, ou, du moins, une mort prématurée n’a pas permis qu’il allât plus loin. D’autres, après lui, ont creusé le même sillon : Lazarus et Steinthal.

Ceux-ci, qui peuvent être considérés comme les vrais fondateurs de la psychologie ethnique, appartiennent aussi à l’école de Herbart. Ils n’ont fait d’ailleurs que développer les vues de leur maître : ce point mérite d’être signalé, car on ne supposerait guère que l’auteur de la Psychologie mathématique ait attaché une grande importance à ces recherches. Il soutient pourtant que « la psychologie reste toujours incomplète, tant qu’elle ne considère l’homme que comme un individu isolé[1]. » Il était convaincu qu’une société est un tout animé et organique, régi par des lois psychologiques qui lui sont propres. Il a écrit une statique et une mécanique de l’État, comme il a fait une statique et une mécanique des idées[2]. Mais la Völkerpsychologie ne pouvait sortir d’une conception si abstraite et Herbart n’était pas de nature à la fonder.

Steinthal est connu par des travaux sur les langues auxquels on

  1. Lehrhuch der Psychologie, 2e éd., § 240.
  2. Voir en particulier : Herbart, Allgemeine praktische Philosophie, ch. 12, et les deux essais : Bruchstücke zu eine Statik und Mechanik des Staates ; Ueber einige Beziehungen zwischen Psychologie und Staatswissenschaft.