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dans l’air et dans l’eau, trouva au contraire que dans le vide le mouvement doit être d’autant plus rapide qu’il ne rencontre point de résistance. Restait à montrer comment les atomes, tombant parallèlement dans le vide comme des gouttes de pluie, peuvent donner naissance à des tourbillons de matière cosmique capables de former éternellement des combinaisons nouvelles, c’est-à-dire des mondes. Sans doute, la plus petite déviation de la ligne parallèle doit au cours des siècles amener une rencontre, un choc d’atomes, et cela une fois accordé, on concevrait, avec la naissance des tourbillons, la possibilité de formation et de dissolution de mondes. Mais nous ne voyons pas où est la nécessité que les atomes s’écartent de la ligne droite. Paulum clinare necesse est corpora. Voilà une des lacunes du système d’Épicure. Lucrèce, en vrai Romain, tranche la difficulté : il invoque et transporte aux atomes les mouvements volontaires de l’homme et des animaux ! Du même coup, il explique la liberté humaine par la déclinaison des atomes ! On ne saurait rêver un plus curieux contraste avec le matérialisme de nos jours, qui ramène tous les mouvements de l’âme, spontanés, réflexes ou volontaires, à des processus purement mécaniques.

Les religions monothéistes et le matérialisme.

C’est encore un problème historique fort obscur que celui de la fin ou plutôt de la transformation du monde antique et de la conversion des peuples aryens d’une partie de l’Orient et de l’Occident à une religion monothéiste. Le stoïcisme, surtout depuis Tibère et Néron, avait été à Rome la philosophie, j’ai presque dit la religion des classes élevées. Mais un jour vint, où les âmes désabusées de l’effort moral et du vain orgueil du sage, se détournèrent de cette espèce de puritanisme étroit et fanatique qui a desséché l’âme d’Épictète et faussé le génie de Tacite. Tandis qu’à Rome, à Alexandrie, à Byzance, ce qui restait des grandes familles patriciennes périssait de consomption ou d’excès de tout genre, le néo-platonisme et le néo-pythagorisme, tout pénétrés de l’enthousiasme religieux de l’Orient et promettant l’union mystique avec l’Être ineffable, entraînaient aux saintes orgies tous ceux qui cultivaient encore les lettres et la philosophie. À force de réagir contre le matérialisme et le déterminisme scientifique, on en vint dans l’école de Platon à considérer la vérité comme une révélation et à préconiser l’extase et la théurgie !

Mais ce ne sont ni les patriciens ni les philosophes qui changent la face du monde. C’est bien plus bas, dans les couches inférieures ou