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incisions transversales qui coupent entièrement la moelle privent de sensibilité et de mouvement toutes les parties du corps situées au dessous, attendu que la moelle tire de l’ancéphale la faculté de la sensation et celle du mouvement volontaire. »

Quelle part le matérialisme antique a-t-il eue dans ces conquêtes de la science et de la philosophie expérimentale ? Au premier abord, la réponse ne laisse pas d’être paradoxale. Si l’on excepte Démocrite, c’est à peine si un seul de ces grands inventeurs appartient à l’école matérialiste. On rencontre, au contraire, parmi les noms les plus considérables de la science grecque toute une lignée d’idéalistes et même d’enthousiastes. Platon est bien le père de ces puissants génies qui portèrent si haut la perfection des mathématiques. Tous ou presque tous les mathématiciens d’Alexandrie étaient de son école. Aristarque de Samos, le précurseur de Copernic, se rattachait aux vieilles traditions pythagoriciennes. Le grand Hipparque croyait à l’origine divine de l’âme humaine. Eratosthène s’en tint à la moyenne Académie. Pline, Ptolémée, Galien, sans avoir de système proprement dit, étaient attachés aux principes panthéistes. Naturellement ce n’est point sans raison que le naturalisme a eu si peu de part à l’invention des sciences. Il parait bien que les voies droites et claires ne conduisent guère aux découvertes. En maintes occasions le vol capricieux de la fantaisie et les mille détours d’une libre imagination ont mené plus vite à quelque vérité nouvelle que tous les efforts appliqués et méthodiques de l’intelligence. Certes l’atomisme antique était loin d’être le dernier mot de la science : il se rapprochait pourtant beaucoup plus de l’essence des choses, autant qu’il nous est donné de la concevoir, que la doctrine pythagoricienne des nombres ou celle des idées de Platon. Mais ces idées étaient en harmonie avec le goût étrange qu’apporte tout homme en ce monde pour les formes pures dans lesquelles il croit contempler les types ou les idées éternelles de tout ce qui passe et périt autour de lui. La tendance inconsciente et innée de l’âme vers l’ordre et la symétrie suscitait dans l’esprit les idées divinatrices des phénomènes. Dans l’histoire entière des découvertes et des inventions, on voit que c’est par son libre essor vers la sphère des rêves et des pressentiments que l’âme humaine a trouvé les lois principales qui régissent le monde.

Toutefois, cette divination subjective des lois et des raisons cachées des choses n’est qu’un succédané de l’instinct religieux qui créa les mythes. Il y a longtemps qu’on a constaté que la capacité scientifique d’une race est en raison directe de la richesse de sa mythologie. Sans les sévères méthodes de l’observation et de l’expérience,