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j. soury. — histoire du matérialisme

Le système et l’école d’Épicure présentent le côté pratique de cette réaction contre l’école d’Athènes. Les stoïciens eux-mêmes inclinaient très-fort en physique vers la théorie matérialiste. Au premier abord, on serait tenté d’admirer la conséquence de leur matérialisme, car, à l’inverse de Platon, ils tenaient toute réalité pour un corps. Mais on reconnaît bientôt qu’il ne manque à ce matérialisme que d’admettre la nature purement matérielle de la matière, et la genèse de tous les phénomènes naturels par les lois générales du mouvement, c’est-à-dire le principe même du système. La matière des stoïciens ne devient telle que par son union avec la force. La force de toutes les forces est la divinité, qui rayonne dans l’univers et lui communique le mouvement. La force indéterminée et la divinité des stoïciens sont en présence comme la forme et le but suprême du monde et la simple possibilité du devenir chez Aristote, en d’autres termes comme Dieu et la matière. Sans doute les stoïciens n’ont point de Dieu transcendant ; point d’âmes incorporelles et indestructibles, car, bien qu’elles survivent au corps, c’est pour périr bientôt si, en raison de leur méchanceté, elles sont d’une matière impure et caduque, et si, par leurs vertus, elles ont mérité d’entrer au séjour des bienheureux, ce n’est jamais que jusqu’au retour périodique du grand embrasement de l’univers. La matière des stoïciens est animée, et non pas seulement mise en mouvement. Leur dieu est identique avec le monde, qu’il pénètre comme l’haleine ou le souffle, qu’il parcourt comme le feu en prenant toutes les formes, mais il est plus que la matière : il est raison, intelligence, providence ; il agit en vue de certaines fins et se détermine pour le meilleur. L’anthropomorphisme, la téléologie et l’optimisme dominent tout ce système qui doit être défini un véritable panthéisme. Comme l’a dit Zeller, le stoïcisme n’est pas seulement une philosophie : c’est aussi une religion, et cela dès l’origine. Plus tard, à l’heure où les vieilles religions nationales sombrèrent avec le monde antique, le stoïcisme a satisfait, comme le platonisme, le besoin de croyance qui tourmentait les meilleures âmes, et donné un appui à leur vie morale.

Zenon, le fondateur de la doctrine du Portique, était de Kittion, antique cité phénicienne de Cypre. Désormais la plupart des philosophes grecs seront originaires de contrées où les Hellènes étaient mêlés aux étrangers, surtout aux populations sémitiques. La fin de l’indépendance politique de la Grèce n’a pas été moins favorable à la liberté individuelle qu’à l’affranchissement, ou, si l’on veut, à l’autonomie locale des villes et des états du monde hellénique. Jamais il n’y eut plus de penseurs, je ne dirai pas originaux, mais singulièrement éveillés et actifs. Avec les disciples d’Aristote, les