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j. soury. — histoire du matérialisme


Le Matérialisme en Grèce et à Rome. Épicure et Lucrèce.
L’école d’Alexandrie.

C’est une loi de la nature et de l’histoire que toujours l’action soit suivie d’une réaction, et qu’un monde, une civilisation, une forme de pensée ne s’élèvent un moment comme la vague sur l’océan des choses que pour retomber dans l’abîme sous l’écume de nouveaux flots. C’est dans le jeu éternel de ces vagues que l’homme a cru parfois découvrir une pensée, une harmonie, un progrès. Ces conceptions majestueuses n’ont jamais existé que dans son esprit. Il n’y a pas plus de progrès dans l’humanité que de conscience dans l’univers. Les oscillations de l’histoire sont certainement soumises à des lois mécaniques comme celles de la nature. Ce n’est pas à réaliser la justice et le beau que tendent les choses ; la fin du monde n’est pas plus l’avènement du « royaume de Dieu » que le règne de la raison et de la science. Il n’y a pas un seul de ces mots qui ne trahisse une origine purement humaine, qui ne soit né d’une illusion, et n’atteste avec une sorte d’ironie le néant de ce qu’il exprime. Quand une façon de penser, partant une philosophie, a dominé pendant une ou plusieurs générations humaines, elle disparaît pour faire place à une autre. Certains courants cachés apparaissent qui entraînent les esprits dans une direction contraire.

En Grèce, vers la fin du cinquième siècle, la réaction naissante du spiritualisme avait lutté contre le matérialisme expirant ; au quatrième et au troisième siècle, le matérialisme renaît, et c’est de l’école même d’Aristote que sortent un Théophraste, qui incline déjà à résoudre par la doctrine de l’immanence certains problèmes que le maître était peut-être plus porté à expliquer dans un sens transcendant ; un Aristoxène, qui réduisait l’âme à l’harmonie des éléments dont le corps est composé ; un Dicéarque, pour qui l’âme n’était plus qu’un vain mot, ne répondant à aucune substance, car rien n’existe pour lui que la matière, dont les parties sont arrangées de telle sorte qu’elle a vie, sentiment et pensée chez certains êtres ; enfin un Straton de Lampsaque, avec qui le péripatétisme se transforme en un naturalisme à peine distinct du matérialisme.

Pour le « Physicien, » comme on l’appelait, le νοῦς n’est plus que la conscience née de la sensation ; il conçoit l’activité de l’âme comme un mouvement matériel et dérive toute vie des forces immanentes de la nature. La nature est le grand artiste qui a fait spontanément et continue à produire tout ce qui existe. Il voyait, avec le véritable