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« Le mouvement suit la volonté, et il est accompagné d’une modification soit uniquement du sens musculaire, ou plus généralement du sens de la motilité, soit aussi d’un autre sens. Parfois, à la suite de l’effort, le changement ne se produit pas ; on n’éprouve pas la sensation motilité correspondante, parce qu’un obstacle extérieur est intervenu. L’animal reconnaît alors qu’il y a en dehors de lui autre chose qui limite son pouvoir… Comme les choses extérieures le modifient de leur côté, il conclut à l’existence en dehors de lui d’une puissance analogue à la sienne. Il distingue le non-moi du moi, l’un qui ne lui obéit pas, l’autre qui lui obéit. »

D’après cette seconde théorie, que l’auteur mêle à la première, le non-moi ne serait plus formé par celles de mes sensations que je n’ai pas causées ou voulues, ce serait seulement la cause présumée de mes sensations involontaires. Ma sensation de cet arbre, bien que non voulue par moi, fait partie du moi, mais n’étant pas causée par moi, je suppose qu’il existe une cause extérieure qui l’a produite. Cette doctrine fait dépendre l’idée du non-moi de la croyance à l’existence du monde extérieur et en ce point nous la considérons comme vraie ; mais elle fait reposer la croyance à l’existence du monde extérieur sur l’idée de cause et en cela nous la considérons comme fausse. C’est l’inverse qui est vrai. Certaines de mes sensations n’étant pas causées par ma volonté, je devrais en conclure, si je ne connaissais par d’autres moyens l’existence du monde extérieur, qu’il y a des sensations sans cause, et je considérerais la loi de causalité comme n’étant applicable qu’aux faits de volonté ; car nous n’admettons pas que cette loi soit une idée universelle et nécessaire à priori et nous pensons qu’elle est acquise par expérience. Il faut donc chercher ailleurs l’origine de notre croyance au non-moi et au monde extérieur : ces idées ont pour cause la force avec laquelle l’habitude associe à certaines représentations des dates ou des situations autres que le moment actuel de la connaissance et le champ actuel de nos perceptions.

M. Delbœuf est plus heureux quand il s’agit d’expliquer l’origine des idées de l’âme et du corps : « Mon âme et mon corps signifient l’âme de moi, le corps de moi, c’est-à-dire que le moi se place au-dessus de l’âme et du corps, comme possédant l’un et l’autre, et comme étant plus, par conséquent, que chacun d’eux séparément. Le moi, c’est l’individu, corps et âme, considéré comme son unité indivisible. On dit : Je grandis, je maigris, je perds mes dents, je grisonne, etc., aussi légitimement que l’on dit : Je pense, je sens, je me rappelle, je réfléchis. — L’homme remarque avec le temps qu’il y a des choses en lui et des actes produits par lui, qu’il perçoit