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dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

Après avoir essayé d’expliquer l’origine des différents sens, M. Delbœuf cherche à montrer d’où peuvent provenir la distinction de l’âme et du corps, celle du moi et du non-moi, et la croyance à l’existence du monde extérieur.

Selon lui, la distinction primitive est celle du moi et du non-moi. La distinction de l’âme et du corps serait consécutive.

« L’idée du moi, dit M. Delbœuf, dépend du pouvoir que nous avons de nous donner des sensations à nous-mêmes. L’enfant crie et il a conscience des efforts qu’il fait pour crier ; en même temps il a une sensation auditive. Comme celle-ci vient toujours à la suite de ces mêmes efforts, il ne tarde pas à s’apercevoir qu’il a le pouvoir de se donner une sensation auditive. Mais en même temps il aperçoit qu’une seconde série de sensations n’a pas une source identique et dépend d’autre chose que de lui. C’est malgré lui qu’il entend la voix de sa mère ; si elle se tait et qu’elle désire l’entendre, il ne peut de lui-même reproduire les sons agréables qui frappaient son oreille. Il en résulte que l’animal regarde, comme étant lui, comme faisant partie intégrante de son être, tout ce qui lui procure, du moment où il le veut, une sensation déterminée et attendue[1]. L’huître regarde évidemment comme une portion d’elle-même ses deux valves et probablement la roche sur laquelle elle s’attache… L’enfant qui ne sortirait jamais de son berceau pourrait croire que ce berceau est une partie de son être ; et si nous venions au monde avec des vêtements qui ne nous quitteraient pas, ils nous apparaîtraient comme appartenant à notre personne au même titre que les poils, les cheveux, les ongles, l’épiderme. En un mot, l’animal regarde comme n’étant pas différent de lui, ce qui lui procure toujours une même sensation, chaque fois que sa volonté est la même. Le non-moi, c’est pour lui tout le reste. »

D’après ce qui précède, j’appellerais moi celles de mes sensations que j’aurais conscience d’avoir causées moi-même et non-moi celles que je n’aurais pas conscience d’avoir causées. Cela ne serait pas exact. Quand un objet extérieur me blesse, je ne suis point la cause de ma douleur, je ne l’ai pas voulue, et cependant ma douleur fait partie du moi, c’est moi qui souffre. Quand je rencontre sur mon passage un objet que je ne m’attendais pas à rencontrer, je n’ai pas voulu la perception que j’en ai, et néanmoins c’est moi qui perçois. M. Delbœuf a dû s’apercevoir que sa définition n’est pas satisfaisante, car il passe à une autre manière de voir :

  1. Voyez Wundt. Grundzûge der physiologischen Psychologie, Leipzig, 1873 ; et Lewes, Revue philosophique, tome I, p. 161.