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dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

à l’inconscience. On parle plus souvent encore de sensations inconscientes que d’actes inconscients. M. Delbœuf aurait dû par conséquent chercher une autre base à la théorie de l’inconscience et de la conscience ; et il eût pu la trouver, selon nous, dans la discontinuité ou la continuité des phénomènes relativement au groupe particulier de faits constituant le moi à tel ou tel moment, discontinuité ou continuité qui varient subjectivement suivant l’inattention ou l’attention, et objectivement suivant le degré d’anémie ou d’hypérémie locales résultant dans le cerveau de cette inattention ou de cette attention.

L’attention, il est vrai, résulte quelquefois d’un effort ou de la volonté. Mais il n’en est pas ainsi dans la plupart des cas ; les objets s’emparent de nous ; les sensations s’imposent à nous ; les idées s’éveillent dans notre intelligence et occupent la conscience au moment où nous y songions le moins. La volonté est loin de toujours diriger le mouvement intellectuel ; la plupart du temps nous abandonnons la pensée à elle-même, et c’est elle qui, par instants, spontanément, devient le point de départ de nos actes.

Quant à la volonté elle-même, Maine de Biran professe à son égard une théorie en grande partie mystique. Il en fait une faculté substantielle renfermant à l’état de puissance toute l’activité humaine, une source de force pouvant à chaque instant modifier la quantité de mouvement de l’univers. Ce sont des conséquences que M. Delbœuf n’admettrait pas sans doute ; aussi le voyons-nous abandonner sur ce point la théorie qu’il avait admise relativement à la conscience et à l’effort, et donner de la volonté une excellente définition. « Le mouvement est volontaire, dit-il, quand on sait pourquoi et comment on le fait. » Nous disons que cette définition est excellente parce qu’elle comprend à la fois les cas où un mouvement est causé par l’idée de son but, et les cas où l’idée du but est au contraire réveillée par le mouvement spontanément accompli.

Mais pourquoi M. Delbœuf définit-il l’habitude : un acte que l’on fait sans savoir comment ? Cette définition excluerait tous les actes volontaires et cependant tous les actes volontaires ont l’habitude pour condition. On ne peut faire volontairement, c’est-à-dire avec prévision du but, que ce qui a été fait auparavant sans prévision. M. Delbœuf partage l’erreur si répandue, que la volonté précède toujours l’habitude. Cependant un acte ne peut devenir volontaire que dans le cas où l’habitude a établi un rapport de suggestion réciproque entre un mouvement et l’idée de son but. Les actes que nous accomplissons pour la première fois en vertu de la variabilité, d’une adaptation nouvelle, d’un supplément d’excitation à dépenser, les idées par exemple qui surgissent pour la première fois dans notre