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dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

qu’elle est tiède, j’exprime, non un jugement sur le degré de température, mais le sentiment d’un besoin non satisfait. Le cas est analogue si, en entrant dans un appartement, je m’écrie : Comme il est froid ! Il en est tout à fait de même des mots obscur et lumineux, fort ou faible, assez, trop ou trop peu, etc., qui tantôt s’appliquent à la mesure de la qualité de l’objet, et tantôt à celle du plaisir et du déplaisir que j’éprouve. Il faut faire une grande attention pour ne pas se tromper dans l’appréciation de la valeur de ces termes, mais les phénomènes auxquels ils ont rapport n’en sont pas moins essentiellement différents. » Nous verrons tout à l’heure si M. Delbœuf a lui-même toujours tenu compte de cette différence.

Mais en quoi consiste le plaisir ou la douleur ? Dans quel cas une sensation s’accompagne-t-elle d’un sentiment agréable ? Dans quel cas, au contraire, est-elle désagréable ?

Suivant M. Delbœuf, tout être sensible est, comme tous les corps, doué de la faculté de se mettre en équilibre avec le milieu. Si, par exemple, on comprime ce corps, il cède d’abord, mais sa force de résistance augmente peu à peu, et il arrive à faire équilibre à la force de compression ; pour le comprimer davantage, il faudra une nouvelle force. Si un corps froid est exposé à l’action d’une source de chaleur, il va s’échauffer à son tour ; et cet état de transition continuera jusqu’à ce qu’il atteigne une certaine température telle qu’il perdra à chaque instant juste la quantité de chaleur qu’il reçoit. L’excitation est une rupture de l’équilibre entre l’être sensible et le milieu, et les sensations qui résultent de l’excitation s’accompagnent d’un sentiment de malaise ou de bien-être, de douleur ou de plaisir, suivant que l’on s’éloigne ou se rapproche de l’état d’équilibre.

Mais cette théorie n’est pas acceptable. Si elle était vraie, toute excitation, toute impression nouvelle seraient désagréables, et ce serait quand l’excitation cesserait que le plaisir apparaîtrait. M. Delbœuf se rangerait par là à l’avis de ces philosophes qui voient dans la douleur seule quelque chose de positif et ne considèrent le plaisir que comme une négation. Bien qu’il y ait évidemment des excitations douloureuses, il est certain que la plus grande partie des plaisirs (tous les plaisirs du moins qui ne sont pas négatifs et ne résultent pas de la suppression d’une peine) sont la conséquence d’une excitation positive et consistent dans une rupture d’équilibre. En ce moment, je ne m’aperçois d’aucune odeur ; le sens de l’odorat est par conséquent, chez moi, en équilibre ; on me présente une rose, j’en respire le parfum et l’équilibre est rompu ; les nerfs olfactifs reçoivent une excitation, qui durera jusqu’à ce que je me sois habitué à l’odeur de la rose et que je me sois mis en équilibre avec