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droite, à sa mesure, à sa perpendicularité, sont admis par l’être du système S comme par celui du système ∑ ; et cependant la longueur de l’hypoténuse est différente dans les deux systèmes, et dans S, elle dépend de la valeur du coefficient k. Que ce triangle soit réel et que nous en mesurions effectivement l’hypoténuse ; nos sens et ceux de l’être du système S ont dû, par hypothèse, donner de part et d’autre les mêmes résultats pour les opérations de construction, et n’en peuvent donner de différents pour cette dernière mesure[1].

La valeur exacte du nombre k ne peut donc, en résumé, dépendre que du non-moi intelligible.

Que devient dès lors la formule de Kant ?

Lorsque je suppose deux sphères matérielles, gravitant Tune vers l’autre selon la loi de Newton, ou selon toute autre que j’imaginerai, si je veux déterminer le mouvement qu’elles prendront, je sais bien qu’il me faut faire entrer dans mes formules un coefficient dont je ne puis aucunement penser à déterminer à priori la valeur ; par exemple l’attraction de l’unité de masse sur l’unité de masse à l’unité de distance. Mais quand je construis un triangle rectangle, la longueur de l’hypoténuse dépendrait d’un coefficient expérimental ! Où est dès lors la différence si essentielle des deux concepts ?

Lorsque je constitue la notion d’espace, en appliquant au monde extérieur la forme du nombre ou, si l’on veut, du continu, je soustrais en même temps toute la matière des phénomènes, je fais l’abstraction la plus complète possible, et je crois bien m’être débarrassé de tous ces coefficients à posteriori qui président à chaque phénomène particulier. Non, il en reste un dont l’existence m’est affirmée, mais dont je ne pourrai d’ailleurs calculer la valeur, si j’y arrive jamais, qu’au prix d’expériences et d’observations d’une délicatesse infinie.

Mais dans ce cas, si le nombre est une forme, l’espace n’en est pas une ; c’est une matière des phénomènes, absolument au même titre que la couleur ; c’est un objet auquel ce coefficient k imprime un caractère concret indélébile, et si « tout change, excepté la loi du changement, » je ne puis même affirmer à priori qu’il est constant, et que le théorème de Pythagore n’est pas en train de devenir faux.

Mais qui me force, après tout, à modifier à ce point mes habitudes d’esprit ? Qu’ont fait en somme Lobatchewsky et Bolyai ? Une tentative de démonstration par l’absurde qui n’a pas abouti. Il en résulte,

  1. C’est la conclusion à laquelle arrive M. Helmholtz, après une analyse très-minutieuse, dans le remarquable article publié dans le numéro du Mind de juillet 1876.