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rence et de l’inégalité des sensibilités individuelles. — Il ne faut pas identifier la vie et la sensibilité : les plantes, qui ont la première en partage, sont étrangères à la seconde. Ce n’est point par une gradation insensible que s’effectue le passage de la simple organisation à la sensibilité. En vain le Darwinisme essaie de relier le règne végétal au règne animal par une progression imperceptible. Il n’y a pas seulement entre eux une différence quantitative. Sans doute l’organisation et la sensibilité sont dues Tune et l’autre au jeu des forces générales de la matière : mais elles résultent de combinaisons spécifiquement différentes et irréductibles. Si l’on supprime cette rigoureuse démarcation, si l’on abolit toutes les distinctions, il n’y a pas de raison pour ne pas aller jusqu’à admettre la résurrection des morts. — La sensation doit être soigneusement distinguée de la représentation (Vorstellung), Le trait caractéristique de cette dernière, c’est qu’elle exprime toujours un rapport déterminé au temps et à l’espace. Les représentations des sens nous font percevoir immédiatement les dimensions des objets dans l’espace et le temps. Sans doute, pour déterminer et mesurer ces dimensions avec exactitude, il faut le concours de l’expérience, de l’habitude, de la culture, en un mot l’intervention de l’entendement (Verstand). Mais il n’est pas vrai de soutenir avec Kant que les intuitions immédiates des sens, que l’intuition de l’étendue sensible, chez l’enfant par exemple, ne contienne pas les trois dimensions des corps. Nous avons déjà constaté que la sensation ne fait qu’interpréter, que traduire d’une manière subjective les rapports objectifs des choses. Pourquoi l’activité représentative des sens ne nous orienterait-elle pas, à son tour, spontanément et avant toute réflexion de l’entendement discursif, sur les dimensions réelles des objets ? — La diversité spécifique des sens se comprend aisément, si l’on ramène leurs opérations respectives à une même opération fondamentale ; si l’on admet que toute perception sensible se réduit à la perception d’une résistance mécanique et de l’énergie changeante de cette résistance. « La réalité tout entière est ainsi essentiellement un mécanisme. Et notre organisme se trouve étroitement uni au monde extérieur, puisque ses états mécaniques ne sont qu’une partie de la mécanique universelle. » — Si les perceptions des sens ne sont que la perception des états mécaniques du système nerveux, nous devons supposer dans toutes leurs opérations quelque chose d’analogue à ce qui se passe dans le toucher. L’acte de la vision lui-même doit, comme celui du tact, nous mettre en rapport avec une forme particulière du mécanisme cosmique. Si notre science était plus étendue, nous verrions sans doute que les différences des sens tiennent aux dispositions différentes des appareils sensitifs. Nous devons pour le moment nous contenter d’affirmer qu’il n’y a aucun sens spécial auquel ne se rapporte une forme particulière du mécanisme universel, une propriété spéciale delà matière. — Avons-nous, d’un autre côté, des sens correspondants à toutes les forces mécaniques ? Il serait sans