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objective des choses. Entre l’esprit et la nature règne une analogie parfaite. « On ne saurait rien découvrir dans le monde, qui ne se rattache par quelque lien de parenté aux éléments de notre nature, qui ne nous soit intelligible par eux (p. 39) ».

C’est à l’oppression que le christianisme a fait peser sur la pensée, qu’il faut attribuer en grande partie la croyance, presque universelle chez les philosophes modernes, à une opposition invincible entre la pensée et la réalité. « Jusqu’ici l’histoire de la philosophie ne nous présente aucune conception du monde et de la vie, où les droits et la souveraineté de l’entendement humain soient affirmés dans leur plénitude, dans leur vérité. Quand on n’invente pas, pour les restreindre ou les contester, des théories psychologiques, ou, comme on dit, critiques, on renonce en fait, comme le positivisme de Comte, à une explication dernière ; on s’interdit de sonder l’essence, d’embrasser la totalité de l’être. Même le plus dogmatique des philosophes modernes, Spinoza, ne reconnaît qu’imparfaitement la puissance de l’entendement, et ignore complètement le rôle qui appartient à l’imagination dans l’explication complète des choses » (p. 41). On sait assez la part qui revient à l’entendement mathématique et logique dans la science ; mais on connaît moins celle de l’imagination. Pourtant il faut partir de ce principe, qu’aucune forme de la réalité ne doit demeurer inaccessible à la pensée ; que les éléments de la pensée et de l’être se correspondent exactement. « Parler des limites de la pensée, c’est assigner des limites à la réalité ; c’est refuser à la nature le pouvoir de prendre entièrement conscience d’elle-même dans l’esprit. » (So fehlte der Welt die Kraft sich subjectiv vollstandig zu reproduciren, p. 48.) N’hésitons donc pas à appeler l’imagination à notre secours, là où les données de l’expérience et du calcul nous font défaut. N’y a-t-il pas d’étroits rapports entre l’activité de l’imagination.et celle de la nature, entre les produits inconscients de l’une et ceux de l’autre ? C’est en n’osant pas se confier à ces analogies entre l’art humain et celui de la nature, qu’on a exagéré jusqu’au scepticisme les précautions critiques ; que Hume et Kant, par exemple, ont restreint d’une manière si arbitraire la portée des catégories de cause et de fin. En nous entourant des précautions nécessaires, nous pouvons nous abandonner aux suggestions de l’imagination scientifique et esthétique dans l’interprétation de la réalité. Soyons persuadés après tout que « la grande artiste, qui s’appelle la nature, déploie toujours au fond la même activité, soit qu’elle agisse en dehors de nous sans la pensée, soit qu’elle se serve en nous de l’intermédiaire de la conscience » (p. 55).

II. Principes de la science de la nature. — Sous le nom de principes de la science de la nature, on retrouvera discutés ici les mêmes problèmes qu’agitait autrefois la prétendue philosophie de la nature. Le discrédit où le charlatanisme éhonté (prostituirte Philosophasterei) d’un Schelling et de ses imitateurs a fait tomber les spéculations de ce genre ne nous autorise pas à les délaisser à notre tour. D’autant plus