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analyses. — dühring. Cours de philosophie.

duits réels est toujours déterminable, c’est-à-dire limité. La série des états du monde a eu un commencement : autrement on serait obligé d’affirmer actuellement un nombre infini. Ce qui est vrai des états du monde est vrai aussi de ses parties. Le monde est donc fini dans la succession de ses changements et l’extension de ses parties. L’être abstrait des Éléates n’est pas l’être véritable, le principe et le germe de toute réalité. Il est vide comme le néant ; et ne saurait expliquer la riche variété des choses. L’être primordial, le principe générateur doit contenir en germe, dans son unité supérieure au temps et à l’espace, la diversité des déterminations de la réalité phénoménale. — Les différences fondamentales de l’être sont ou qualitatives ou quantitatives : les concepts de genre et de grandeur mesurent les unes et les autres. — La loi de la causalité sert à déterminer la succession des changements réels : elle ne s’applique donc pas soit à l’être absolu, soit aux éléments constants de l’être ; nous devons regarder comme éternels, c’est-à-dire comme indépendants du temps, les éléments immuables, les principes substantiels de la réalité.

En parlant des propriétés logiques de l’être, c’est-à-dire en affirmant que le principe de contradiction, celui du déterminisme, celui enfin de l’ordre systématique, ne gouvernent pas seulement notre pensée, mais aussi les choses, nous ne nous bornons pas à chercher une application en dehors de nous, à donner un corps à de pures conceptions de l’esprit : les lois de la pensée ont leur racine dans la nature elle-même, dont notre conscience comme notre individualité n’est en définitive qu’un phénomène. Toutefois, si l’on doit affirmer sans restriction l’objectivité des principes de la pensée, on ne peut parler qu’au sens métaphorique, et encore avec bien des réserves, d’une logique objective de la nature. Notre esprit, avec ses formes subjectives, n’est qu’un produit secondaire de la nature, bien loin d’en être le principe, comme le soutient l’idéalisme hégélien. — Il faut soigneusement distinguer la contradiction logique de l’opposition réelle : le jeu des forces naturelles nous offre constamment des exemples de la seconde, mais la première ne se rencontre pas plus dans la réalité qu’elle ne doit se produire dans notre pensée. — Le principe de causalité ou la loi du déterminisme gouverne l’univers entier des phénomènes, aussi bien le monde moral que le monde physique, les mouvements de la matière que les déterminations des volontés. N’oublions pas, comme nous l’avons déjà remarqué, que la causalité ne s’applique qu’au changement. On s’égare en cherchant une cause à ce qui est immuable de sa nature, ainsi à la matière, aux concepts logiques et mathématiques. La série des causes ne saurait être infinie : il faut admettre des premiers principes dans la réalité et dans la pensée. Kant et surtout Schopenhauer ne se sont pas assez souvenus de ces limites du principe de causalité. Affirmons encore hardiment contre Kant que l’enchaînement systématique, que la raison nous commande impérieusement de réaliser dans nos connaissances, exprime aussi une loi rigoureuse de la nature, une nécessité