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a. herzen. — identité de la conscience du moi

quelque chose d’autre, quelque chose de plus. En général on l’affirme : on croit qu’il y a derrière le théâtre des sensations une individualité abstraite, une essence une et homogène, simple, continue et toujours identique à elle-même, qui est le véritable moi. Nous verrons qu’il n’y a rien de semblable ; que la conscience du moi n’est réellement qu’une forme de la conscience générale ou cénesthésie, c’est-à-dire de l’ensemble de sensations plus ou moins clairement perçues dans un moment donné ; et que par conséquent la conscience du moi ne peut avoir ni la continuité ni l’identité qu’on lui attribue ordinairement.

Selon leur point de départ, les sensations se divisent en deux groupes : les unes sont d’origine extérieure, périphérique ; les autres d’origine intérieure, centrale ; les premières sont immédiates, primitives, et forment pour ainsi dire la matière brute des secondes, qui sont médiates, consécutives, élaborées ; celles-là arrivent aux centres nerveux par la voie afférente des nerfs sensitifs ; celles-ci naissent au sein même des centres nerveux, provoquées par les premières, et y constituent un interminable enchaînement de sensations réflexes (images, représentations, idées, souvenirs, pensées, volitions) qui n’est autre chose que notre activité psychique. Le labyrinthe cérébral s’interpose entre l’action du monde extérieur sur l’individu et la réaction de l’individu sur le monde extérieur ; les impressions qui affluent du dehors s’y perdent et s’y éparpillent sur d’innombrables routes, s’élancent sur celles qui sont moins encombrées, heurtent, réveillent et mettent en émoi une foule d’images qui dormaient et qui maintenant se redressent pour accueillir l’impression nouvelle amicalement ou hostilement, pour favoriser sa marche et son développement, ou bien pour l’arrêter et la suffoquer, selon sa nature et son énergie, — procédé qui aboutit toujours à une action réflexe quelconque, c’est-à-dire à un mouvement réflexe, ou à une sensation réflexe.

Ce tableau de la vie psychique est peu scientifique, j’en conviens ; mais il n’est certes pas besoin que je vienne rappeler ici les lois fondamentales qui régissent l’association des sensations réflexes, la persistance des états psychiques qui en résultent, et leur cohésion les uns avec les autres. Ce qui nous importe en ce moment, c’est qu’au milieu de cette multitude infinie de représentations, sans cesse alimentée par cinq intarissables canaux afférents, il y a une phalange plus compacte, plus persistante, plus constante, qui ne se laisse voiler que difficilement, qui selon sa nature et quelquefois selon son état momentané, approuve ou désapprouve, accueille ou repousse les nouvelles images ; cette phalange est l’individualité psychique