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delbœuf. — logique algorithmique

Cela compris, on a, par convention, représenté les différents nombres par des symboles qui sont 1, 2, 3 10, 11… 20… 100…

À ce sujet plusieurs remarques. Il ne faut pas confondre les symboles et les chiffres ; pas plus qu’il ne faut confondre les mots et les lettres. Les chiffres sont des figures arbitraires au moyen desquelles on compose les symboles d’après certaines règles conventionnelles. Ces règles sont données par la numération[1]. Dans le système décimal, le nombre cent s’exprime par trois chiffres disposés d’une certaine façon. C’est une sorte d’écriture à apprendre, voilà tout. Si l’on me demande ce que représente le nombre 4, je prendrai quatre objets, semblables autant que possible, et je les montrerai réunis. Cette réponse est la même que celle que l’on fait à l’enfant qui demande ce que c’est que l’oreille. Les propriétés des nombres diffèrent avec le système de numération. En lui-même le groupe 7 n’a pas de propriété, à moins que l’on ne regarde comme une de ses propriétés d’être égal à la somme des groupes 3 et 4 ; et encore c’est là une décomposition idéale, et le résultat d’une comparaison entre trois groupes différents. Mais du moment que la pensée le saisit comme nombre, et surtout que la parole ou l’écriture l’exprime d’après un système convenu, il entre dans des rapports définis avec tous les autres nombres possibles. Ainsi, des peuples qui sauraient compter jusqu’à cent et qui auraient un mot arbitraire pour chacun des nombres, ne pourraient créer une science arithmétique bien compliquée. Pour une raison analogue le calcul avec les chiffres romains ne pouvait guère donner lieu qu’à des règles très-simples, et, pour ainsi dire, toutes primitives. On peut donc dire, d’une façon absolue, que c’est la symbolisation systématique qui donne naissance aux problèmes que l’on peut se poser sur les nombres. L’arithmétique des Australiens qui, dit-on, n’ont pas de mots pour désigner un nombre supérieur à quatre, doit être tout-à-fait rudimentaire, bien que, pratiquement, ayant, je suppose, à partager les fruits d’un arbre également entre les membres de la tribu, ils puissent procéder à cette opération avec une certaine méthode. Sans cette symbolisation, il ne pourrait être question, par exemple, de règles sur la divisibilité, règles qui, on le sait, varient avec le système de numération choisi.

L’idée de créer un système de numération se présente à l’esprit dès que l’on se pose le problème de la composition des nombres.

  1. Boole, cité par Bain, dans sa Logique (1870), tome I, p. 191, dit : « Un signe est une marque arbitraire ayant une interprétation fixe et susceptible de se combiner avec d’autres signes en restant soumis à des lois fixes qui dépendent de leur interprétation mutuelle. »