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James sully. — l’art et la psychologie

de ces généralisations étroites. Si les artistes cherchaient toujours à produire un seul genre d’émotions, cette sorte de législation pourrait se justifier. Mais tous les arts ont un champ d’opération vaste et indéfini, correspondant aux nombreuses variétés de la sensibilité humaine, et une règle qui formule parfaitement les conditions d’un certain mode d’agrément peut très-bien être sans aucune valeur, relativement à un autre mode. Prenons un exemple bien simple. Ceux qui écrivent sur la couleur parlent fréquemment du contraste et de l’harmonie des teintes, comme si c’était à peu près la même chose ou du moins comme si on pouvait toujours y arriver par les mêmes moyens. La vérité est que l’harmonie et le contraste dans les couleurs, comme dans les autres éléments de l’art, sont des principes opposés et se limitant réciproquement. Ils correspondent à des modes de sentiment tout-à-fait différents et chaque peintre peut faire ressortir ou dominer l’un ou l’autre, selon la nuance particulière de l’émotion qu’il cherche à produire.

On pourrait supposer que si l’on accorde dans les matières de goût et de production artistique une si large place à l’indéterminable, on admet par là l’impossibilité d’une science esthétique. Il a déjà été répondu à cette observation, quand j’ai passé en revue les objections préliminaires à une théorie esthétique, et il ne reste maintenant qu’à montrer comment la méthode psychologique introduit un élément de certitude objective, même dans cette région de phénomènes qui en apparence ressemble à un chaos.

On peut dire tout d’abord que la psychologie, en insistant sur la relativité des impressions esthétiques et le but artistique qui en est le corrélatif, est parfaitement capable d’expliquer chaque résultat séparé, quand une fois elle est en possession des données particulières sociales et individuelles. C’est-à-dire même les phénomènes les plus" variables de l’esthétique, l’impression du comique par exemple, qui semble varier à l’infini avec le caractère national et le tempérament individuel, mettent en lumière un processus psychologique et par conséquent certaines lois générales de l’esprit. En fait, l’explication complète de tout effet artistique particulier, implique une règle universelle, dans l’hypothèse que certains modes de sensibilité restent invariablement les mêmes. De cette manière la psychologie peut montrer pourquoi une forme quelconque de l’art qui, dans des circonstances données, est capable de produire un effet favorable, est relativement bonne.

Mais ce n’est pas tout. Si nous comprenons dans la psychologie la théorie de l’évolution mentale, elle peut nous aider à déterminer la grandeur ou la petitesse, la supériorité ou l’infériorité des résultats