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James sully. — l’art et la psychologie

elles empêchent effectivement de soumettre les procédés de l’art à des recherches scientifiques spéciales. Examinons un peu cette question.

Le premier et le plus évident obstacle à une conception scientifique de l’art réside dans la subjectivité et l’incertitude proverbiales des sentiments esthétiques. Ce n’est pas par hasard que dans un si grand nombre de langues le sentiment esthétique a été rattaché à la classe la plus subjective de nos sensations. Cependant cette analogie même peut servir à montrer qu’il existe des limites aux variations sur lesquelles on insiste. Quelque vaste que soit le champ de l’expérience en matière de goût, où les jugements des différents esprits sont contradictoires, il y a cependant une région où règne une uniformité approximative. Pour tous les hommes dont les organes n’ont pas subi d’altération, certaines choses sont toujours amères ou désagréables au palais. De même, dans le champ de l’expérience esthétique, nous n’avons jamais entendu parler d’aucune différence d’opinion relativement à l’agrément intrinsèque des couleurs brillantes ou à l’impression pénible intrinsèque causée par la dissonance d’un demi-ton. C’est pourquoi s’il est possible de déterminer au point de vue physiologique les conditions de cette uniformité dans les sensations agréables ou désagréables qu’on peut observer dans nos goûts physiques, il peut être également possible de fixer certaines lois générales des effets esthétiques. Et de telles lois seraient une base pour une science du beau renfermée dans un cadre modeste.

En outre, cette analogie sert à suggérer que la mesure comparative n’est pas entièrement exclue même de la région de la variabilité. A propos d’un gourmet nous disons que son goût cultivé et plein de discernement est supérieur à celui d’un homme ordinaire dont l’expérience est bornée à un petit nombre de sensations très-simples. Et cette manière de parler ne peut pas être expliquée en disant que les hommes qui parlent et écrivent ainsi, sont eux-mêmes au nombre des gourmets, car cela n’est pas toujours vrai. Un homme réfléchi, nullement sensible lui-même aux degrés de fumet du vin, admettra que son ami est bien plus compétent que lui-même pour juger d’un bouquet nouveau. De même nous voyons que parmi les jugements esthétiques, quelques-uns sont regardés, même par ceux qui ne sont pas initiés à la question, comme étant supérieurs aux autres, tandis qu’il y a d’autres jugements dont on n’entend faire ainsi l’éloge que par quelques hommes dogmatiques initiés à la question. C’est pourquoi il est possible de dégager du chaos des jugements esthétiques, qui se présentent au goût à pre-