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milieu exclu ; et il fait remarquer avec J. Ferrier « que l’une des principales causes de retard de la philosophie, c’est le manque d’une doctrine claire et développée du contradictoire. » Suivant l’auteur, toute pensée est composée de deux éléments, l’un positif, l’autre privatif : le concept d’homme, pour sa détermination, implique aussi bien l’élément non-homme que l’élément homme. L*un des fléaux de la métaphysique, c’est la tendance à changer cet élément purement privatif en une négation, en un contradictoire réel. C’est ainsi que l’inconditionnel, l’inconnaissable, ces ombres, ces pures négations, sont érigées en entités et en substances, séparées par un abîme de l’esprit humain. Pour M. Brinton au contraire, l’inconditionné est réellement une partie de l’idée du conditionné, l’inconnaissable une partie de l’idée du connaissable, etc. « La synthèse des contradictoires est susceptible d’une expression formelle seulement, mais non d’une interprétation. En poursuivant nos recherches pour les réunir, nous passons dans une région de la pensée, analogue à celle où le mathématicien emploie des quantités comme celles qu’exprime le signe . » — Pour conclure, les postulats rationnels du sentiment religieux sont : 1° Il y a un ordre dans les choses. 2° Cet ordre est dû à une intelligence. 3° L’intelligence est une en espèce ; c’est-à-dire qu’entre l’intelligence de l’homme et celle de son dieu, il n’y a pas différence de nature.

L’originalité de la thèse de M. Brinton consiste donc à placer l’idée-maîtresse de toute religion, dans la nature même de l’intelligence humaine ; en prenant ce mot « intelligence » au sens précis, c’est-à-dire comme faculté logique, raisonnant suivant des lois qui lui sont propres.

Le reste de l’ouvrage est consacré aux manifestations du sentiment religieux : la prière, le mythe, et les cycles mythiques ; le culte, ses symboles et ses rites. On y trouvera un grand nombre de faits et d’interprétations curieuses.

Enfin, dans un dernier chapitre, l’auteur examine Les moments de la pensée religieuse, qu’il ramène à trois : l’idée de la perfection de l’individu (les Grecs) ; l’idée de la perfection de la communauté (les théocraties), l’idée de la survivance personnelle. Dans sa conclusion, il semble entrevoir un nouvel idéal naissant de conditions nouvelles, qui sont une connaissance plus approfondie des lois de l’univers et des lois de la vie et une possibilité d’échapper à cette forme égoïste de la foi, qui s’appelle l’espoir du salut.

Nous n’oserions affirmer que les diverses thèses soutenues par M. Brinton sont toujours entre elles en un parfait accord, et il nous semble que, sur plusieurs points, sa pensée offre des obscurités. Nous espérons cependant que cette courte étude laisse entrevoir ce que ce livre contient d’original et d’ingénieux.

Th. Ribot.