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delbœuf. — logique algorithmique.

moins en définir le caractère ? Le dernier fait même que nous venons de signaler met à nu leur impuissance à cet égard. Examinons toutefois la valeur de leur critérium. D’après eux, on le sait, les axiomes se reconnaissent à leur évidence. L’évidence, c’est cette propriété attribuée à certaines propositions de nous arracher notre adhésion même malgré nous. C’est très-bien. Mais, que de fois l’erreur s’est présentée avec les caractères de l’évidence ! Que de principes erronés ont traversé les siècles, depuis la plus haute antiquité jusqu’à nos jours, et revêtus du brillant manteau de l’évidence, et. il a suffi de la découverte d’un seul fait pour les en dépouiller pour toujours ! Aussi Descartes, après avoir exalté ce critérium, laisse échapper une restriction singulière, à laquelle on ne pouvait s’attendre et qui lui enlève tous ses titres : « Je jugeai, dit-il, que je devais prendre pour règle générale que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement, sont toutes vraies, mais qu’il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement[1]. »

Il y a donc une évidence légitime et une évidence illégitime. Mais alors nous voilà rejetés dans l’incertitude d’où nous croyions une bonne fois être sortis. On nous dira peut-être qu’avant de se prononcer sur le caractère de l’évidence, il faut mûrement réfléchir, peser le pour et le contre, et ne se décider qu’après examen. Soit ! Mais qu’est-ce cela sinon se démontrer à soi-même la vérité de ces propositions que l’on dit être indémontrables, parce qu’elles seules, croit-on, rendent possible la démonstration des autres vérités ? Enfin, s’il en est ainsi, comment peut-on se tromper ? S’il y a des propositions évidentes, si au nombre de celles-ci se trouvent les règles de la logique, comment l’erreur parvient-elle à se glisser dans nos raisonnements ? Il faut donc admettre que parfois Terreur ressemble tellement à la vérité, qu’on est obligé, pour ainsi dire, de s’y laisser prendre.

On le voit, la proposition qu’on ne peut tout démontrer donne lieu à des difficultés très-graves ; elle n’est donc pas elle-même une de celles qui peuvent se passer de démonstration ; aussi ceux qui la soutiennent ne se font-ils pas faute d’en donner. Or, si elle a besoin de démonstration, elle se détruit elle-même, car, si pendant un instant on la révoque en doute, toute proposition à l’aide de laquelle on chercherait à l’établir, est elle-même ébranlée, puisqu’on s’en servirait à titre de proposition indémontrable.

    droite que je viens de rappeler. M. Gérard fait de même dans sa géométrie (Voir note précédente).

  1. Discours de la méthode, 4e partie.