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PREMIÈRE PARTIE


POSSIBILITÉ D’UNE ALGORITHMIE LOGIQUE

I. — De l’objet des mathématiques.


Pourquoi certaines sciences, que l’on confond quelquefois sous le terme général de mathématiques, sont-elles susceptibles d’être exposées à l’aide d’un système conventionnel de signes ? Bien mieux, pourquoi leur développement a-t-il dépendu surtout de l’invention des signes ? À cette question les métaphysiciens répondront, tantôt que ces sciences s’occupent d’abstractions, tantôt qu’elles roulent sur des possibles et non sur des réalités, tantôt que leur objet existe a priori, c’est-à-dire,. qu’il est donné dans l’intelligence même en dehors de toute expérience, qu’il est par conséquent au-dessus de l’expérience.

Se contenter de pareilles raisons, c’est se payer de mots ; et, il faut bien le reconnaître, les philosophes de profession ne font souvent rien d’autre. C’est ce qui explique pourquoi, à côté de l’admirable expansion de toutes les sciences positives, la philosophie proprement dite est restée stationnaire, qu’elle est à peu près aussi avancée que du temps de Platon et d’Aristote, et que les grandes réformes de Socrate, de Bacon, de Descartes, de Kant, ont consisté, en dernière analyse, plutôt à renverser les édifices antérieurement élevés qu’à construire un monument durable.

Reprenons une à une chacune de ces trois explications principales.

L’objet des sciences mathématiques est abstrait. Mais c’est ce qu’on peut dire de toute science ; car la science consiste dans l’enchaînement systématique de nos idées sur les choses. Il est incontestable sans doute, et l’on en dira plus tard la raison, que les sciences mathématiques ont un caractère d’abstraction plus marqué. La géologie, par exemple, encore timide et cherchant sa voie, n’est pas à comparer à la mécanique céleste qui permet d’affirmer l’existence de corps que l’on n’a jamais vus, et que l’œil n’est peut-être jamais destiné à voir. Mais qui oserait affirmer que la géologie ne permettra peut-être pas un jour d’expliquer, à l’aide d’équations, la distribution des couches qui constituent l’écorce terrestre, de même qu’on a rendu compte, par ce moyen, de la formation et de la rotation de l’anneau