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analyses. — reich. Âme du peuple.

physionomie des habitants, elle est modifiée par l’action combinée de l’Éducation et du gouvernement. En dernière analyse, tout le progrès vient des qualités transmises par l’hérédité, et du bon entretien pendant toute la vie. Le fondement sur lequel repose la santé de l’Âme du peuple, c’est l’hygiène.

Tels sont, résumés succinctement, les résultats auxquels arrive M. Ed. Reich, en se fondant sur un nombre très-considérable de faits et de documents. On peut lui reprocher des inductions hasardées et un usage souvent contestable de la statistique. Mais ce qui frappe surtout dans son livre, c’est l’emploi systématique et enthousiaste de la méthode analytique, et le dédain profond de toute synthèse. La vieille école snthétiste allemande, dont le représentant le plus brillant fut Hegel, semble aujourd’hui au bout de son évolution. Partout la réaction éclate, et chacun professe la plus vive admiration pour les philosophes anglais et leurs analyses. Les conciliateurs prennent pour maître Herbert Spencer dont les doctrines peuvent se combiner avec l’hégélianisme, et dont l’esprit ne choque pas le génie national de l’Allemagne. Mais les ardents, les intransigeants renient indifféremment tout le passé : à la synthèse excessive ils substituent l’analyse à outrance, à l’idéalisme absolu le matérialisme le plus intempérant : ce qu’ils rêvent, ce sont les accumulations de faits, et les résultats des statistiques ; et ils oublient d’emprunter en même temps aux sciences naturelles leur rigueur et leur exactitude. M. Reich est tombé quelque peu dans ce travers : il manie plus d’une fois avec une inhabileté de novice, la méthode expérimentale : il supprime même cette synthèse naturelle qui ressort d’une analyse bien faite : on se perd, on se noie dans ces collections de phénomènes amassées par une érudition, il est vrai, consciencieuse, mais qui ne sait pas mettre en œuvre les matériaux réunis par elle. Ce goût de l’analyse à outrance explique l’enthousiasme de M. Reich pour l’école anglaise, et son profond mépris pour les philosophes antérieurs et pour tout le peuple allemand : « Le caractère des philosophes allemands si pauvres, et celui des philosophes anglais dont le corps est bien nourri, le caractère des hommes du peuple allemand indigents et tenus sous la férule, et celui des hommes du peuple anglais bien nourris et instruits, sont absolument opposés. Le philosophe allemand est indécis, flottant, sans énergie, — ou bien, c’est un policier, un pédagogue, un visionnaire rêvasseur, un maître d’école douceâtre (Süssholzmann), ou même une femme en habits d’homme. Le philosophe anglais est décidé, énergique, un homme libre, un penseur profond… Le badaud allemand endoctriné, à qui manque une nourriture fortifiante, joue un piètre rôle auprès du bourgeois anglais qui vit confortablement… L’Allemand des classes instruites et éclairées remplace incomplètement par une nourriture mal appropriée les phosphates dépensés par son activité cérébrale : aussi n’est-il qu’un demi-homme, un avorton, irrésolu, doucereux et fielleux, nerveux et niais. » — Quel Français oserait en dire autant !