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buts, des séries de phénomènes, mais sans violer les lois physiques auxquelles ils sont soumis. La science a donc raison de chercher partout les causes mécaniques des phénomènes ; ces causes existent, et sans elles les fins de la nature demeureraient à l’état d’idéal ; mais elle a tort de prétendre interdire au métaphysicien l’affirmation et la recherche des causes finales. L’ordre physique et mécanique n’est pas exclusif de la finalité. Le monde subsiste en vertu de lois mathématiques ; mais une loi mathématique est par elle-même indifférente à tel ou tel résultat ; or l’ordre existe dans le monde. De deux choses l’une, ou il est une résultante, c’est-à-dire un accident ; alors il est l’effet du hasard ; — ou il est essentiel ; dès lors il y a dans la nature un principe d’ordre qui dirige le présent vers l’avenir. À ce point de vue synthétique, qui est celui de la métaphysique, par opposition au point de vue analytique de la science proprement dite, le mécanisme, sans cesser d’obéir aux lois mathématiques qui en lient les divers éléments, est lui-même suspendu à une loi d’harmonie qui est comme l’intérêt suprême de la nature.

De ce centre de perspective qui est depuis Aristote celui de toute philosophie vraiment spiritualiste, les objections vulgaires et les objections savantes élevées contre la finalité, cèdent aisément à la critique. M. Janet les passe en revue dans un chapitre qui n’est pas un des moins intéressants de son livre, et il dissipe un à un les malentendus qui en ont été le plus souvent l’origine ; un chapitre spécial est consacré à l’examen de l’objection tirée du transformisme. Sans discuter cette théorie considérée comme hypothèse purement scientifique, M. Janet ne croit pas qu’elle exclue les causes finales en les rendant impossibles, ni qu’elle en dispense en les rendant inutiles, car alors même qu’elle donnerait des phénomènes un compte physiquement suffisant, ce qui est question à résoudre entre savants, les explications qu’elle propose seraient toujours intellectuellement insuffisantes.

2e partie. — Jusqu’ici il n’a été question de la finalité qu’à titre de loi générale de la nature. Cette question vidée, un problème d’ordre purement métaphysique se pose : l’existence des fins dans la nature équivaut-elle à l’existence d’une cause suprême, extérieure à la nature, et poursuivant ces fins avec conscience et réflexion ? Ce problème doit être divisé ; avant de rechercher si la cause de la finalité est immanente ou transcendante, il faut savoir si elle existe. La réponse à cette première question ne saurait, suivant M. Janet, être douteuse : le monde actuel ne peut être, comme le voulaient les Épicuriens, le résultat d’une rencontre heureuse mais fortuite d’éléments en désordre, car, outre qu’il implique contradiction qu’en fait une infinité de combinaisons aient été réalisées, « il faut, pour que le monde actuel soit possible, que déjà les éléments dont il se compose, aient une essence déterminée, telle qu’au nombre des combinaisons possibles de ces éléments, soit précisément celle-ci. » D’autre part, la critique que Kant a faite de la preuve physico-téléologique (M. Janet écrit toujours phy-