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« La matière n’est point la cause de nos connaissances sensibles, de nos perceptions ; en d’autres termes, notre connaissance des choses matérielles n’est point un effet qui procède de ces choses matérielles. » Si la matière, comme nous l’avons montré, n’est qu’un élément particulier de quelques-unes de nos connaissances (Epist. VII), elle ne peut être la cause d’aucune connaissance. C’est le moment de montrer quelle est l’origine de la connaissance. On a traité cette question d’une manière très-inexacte, en voulant la résoudre sans avoir déterminé d’abord quelle est la nature de la connaissance. L’hypothèse qui a fait le plus de tort à cette discussion, est celle de l’existence d’une matière abstraite. On en a conclu naturellement que cette matière est la cause de notre connaissance. En second lieu, on en a tiré la doctrine représentationiste, dont nous avons déjà parlé : nous ne connaissons que les idées que nous avons des choses, non les choses elles-mêmes ; en d’autres termes, ces choses sont des causes dont nous ne connaissons que des effets ; un monde purement imaginaire s’est ainsi substitué au monde réel. La forme la plus ancienne de cette doctrine, est celle de l’influx physique, d’après laquelle les objets transmettent aux sens une image que ceux-ci transmettent ensuite à l’esprit. Descartes fait remarquer que les sens ne peuvent transmettre ce qu’ils n’ont pas, et qu’ils n’ont pas de connaissances à communiquer, que les choses matérielles ne sont pas la cause efficiente de nos perceptions, car il y aurait plus dans l’effet que dans la cause. Mais il restait toujours à savoir comment nous connaissons le monde sensible. D’après le même philosophe, c’est à Dieu que nous devons cette connaissance. Cette solution devait bientôt enfanter le scepticisme et l’idéalisme : le monde matériel, en effet, n’est plus nécessaire ; à quoi sert la matière dès que nous ne pouvons la percevoir directement ? Est-il même probable qu’elle existe en réalité ? En vain Descartes fit-il appel au sens commun, à la foi naturelle ; en vain prétendit-il que les objets matériels existaient du moins comme causes occasionnelles des idées que Dieu nous donne ! à quoi bon ces occasions ? Malebranche s’appuie sur la révélation pour croire à l’existence objective du monde, et en même temps il expose hardiment sa théorie de la Vision en Dieu, et il arrive à cette conclusion que le monde matériel a une existence absolue, mais qu’il nous est absolument impossible de le connaître. Leibniz propose, pour résoudre la même difficulté, la doctrine de l’harmonie préétablie.

Quelle que soit l’étrangeté de ces théories, elles sont moins paradoxales cependant que la théorie de l’influx physique ; mais elles sont inadmissibles, et leur insuffisance vient de ce que leurs auteurs