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d’induction qui nous permette de penser à la matière en soi ; l’induction ne saurait mener à l’impossible. Enfin, dans toute représentation, dans toute conception, le moi s’ajoute à l’objet absolument comme dans la connaissance dont il est un élément nécessaire.

Mais ne nous arrive-t-il pas de penser à ce qui s’est passé dans ce monde, alors que nous n’y étions pas encore, ou à ce qui s’y passera quand nous n’y serons plus ? Comment se fait-il que les choses, dans ce cas, nous paraissent conserver leur forme intelligible, qu’elles ne retombent pas dans cet état de non-sens où elles sont plongées quand elles sont séparées du moi ? Simplement parce que nous ne les concevons pas comme séparées de tout moi. Cette abstraction est impossible. Nous pensons aux choses ou en pensant en même temps à nous-mêmes, ou en pensant à quelque autre moi ou sujet, et cela de toute nécessité. Mais comment pouvons-nous penser à un autre moi, et ne semble-t-il pas, d’après la proposition XI, qu’aucun autre moi que le moi individuel, qui a eu une première fois conscience de lui-même, ne puisse être conçu, représenté ? Cette objection repose sur une mauvaise interprétation de la proposition citée. Je n’ajoute rien ici d’absolument nouveau, je n’ôte rien non plus d’essentiel à la connaissance ; je peux donc me représenter un autre moi à l’imitation du moi dont j’ai eu l’expérience, et un nombre quelconque de sujets semblables. Il n’en est pas de même de la matière ; car nous n’avons pas ici de modèle fourni par la connaissance sur lequel nous puissions nous représenter même un grain de sable en soi. Nous avons, au contraire, un type du tout formé par la synthèse du sujet et de l’objet ; nous pouvons le multiplier par l’imagination.

La quatorzième proposition et les suivantes se rapportent encore à un nouvel ordre d’idées : elles déterminent le phénoménal, le substantiel, le relatif et l’absolu dans la connaissance.

« Il n’y a pas de pur phénoménal dans la connaissance ; en d’autres termes, le phénoménal, par lui-même, est absolumment inconnaissable et inconcevable. » Le phénomène est, en effet, ce qui ne peut être connu et conçu que lorsque quelque autre chose est connu ou conçu en même temps. Le phénoménal ne peut donc être conçu ou connu par lui-même. Les psychologues prennent le contre-pied de cette proposition : ils soutiennent que nous ne connaissons que les phénomènes, En vérité, voilà assez longtemps qu’on nous refuse le pouvoir de connaître le réel des choses ! Il faut enfin protester contre cette sottise et définir, une fois pour toutes, les mots phénomène et substance.