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penjon. — la métaphysique de j. ferrier

soit pour elle-même cette modification particulière ; cette supposition serait tout aussi contradictoire que la précédente car elle reviendrait à ceci : que le particulier est connaissable indépendamment de l’universel, et c’est pour n’avoir pas fait cette distinction que David Hume a été amené au monstrueux paradoxe dont nous avons parlé. C’est, du reste, l’opinion dominante en psychologie, que l’esprit connaît seulement ces déterminations variables dont il est le sujets et qu’il se connaît lui-même comme ces déterminations.

Si l’on admet ainsi la neuvième contre-proposition, on se met d’abord en contradiction avec une loi souveraine de la raison, et, en second lieu, on explique l’impossibilité où nous sommes de nous connaître autrement que dans certaines déterminations variables, non par une loi nécessaire, mais par une prétendue limitation de nos facultés.

Il n’est pas inutile de faire remarquer à ce sujet à combien de discussions confuses a donné lieu l’idée d’essence. D’abord le sens de ce mot a complètement changé en passant des anciennes écoles aux modernes. Le mot essence (οὐσία) désignait autrefois cette partie ou cette caractéristique d’une chose qui servait à éclairer, à illuminer tout le reste, la qualité, le trait qui faisait d’une chose ce qu’elle était, et permettait de la distinguer de toutes les autres : c’était le suprême intelligible. Il signifie aujourd’hui exactement le contraire : l’essence est ce qu’il y a de plus obscur dans les choses et de plus caché ; on la suppose, on ne peut ni l’observer ni la connaître : c’est l’incompréhensible par excellence. Qu’est-il résulté de cette singulière transformation ? On s’imagine que les anciens avaient pris ce mot dans le même sens que les psychologues modernes, et on les accuse d’avoir fait porter leurs recherches sur les matières les plus obscures, les plus inaccessibles à l’esprit humain. Il est aisé de voir que jamais accusation ne fut plus injuste, puisque l’essence des choses était pour eux, au contraire, ce qu’il est le plus facile de concevoir. En outre, dans les temps modernes, on a identifié l’essence de l’esprit avec l’esprit en lui-même ; l’esprit en lui-même est impossible à connaître pour les raisons que nous avons vues ; est-ce à dire que l’essence de l’esprit soit aussi inconnaissable ? Elle est au contraire de toutes les choses la plus intelligible ; elle est simplement, en effet, la connaissance que l’esprit a de lui-même. Cette conscience de soi-même est bien la caractéristique et de l’esprit et de l’homme ; elle en est donc l’essence, sans qu’il y ait ici aucun mystère ; il suffit de revenir au sens primitif, au vrai sens d’un mot dont on se sert sans le comprendre.

« Les purs objets sensibles ne peuvent jamais être des objets de