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penjon. — la métaphysique de j. ferrier

guer d’une extrémité donnée une autre extrémité donnée, mais il n’y a pas de bâton concevable autrement qu’avec deux extrémités. Il en est de même pour le sujet et l’objet ; on peut à tel sujet opposer tel objet ; mais il faut toujours concevoir un sujet et un objet ensemble, en relation l’un avec l’autre. Le centre et la circonférence d’un cercle sont également distincts et inséparables. En résumé, un homme ne peut jamais considérer un objet de sa conscience, quel qu’il soit, comme n’étant l’objet d’aucune conscience. Qu’il s’agisse d’une chose ou d’une pensée, c’est toujours la chose connue, la pensée conçue par une conscience.

Il est à peine utile d’ajouter que nous ne parlons pas ici de l’existence, mais de la connaissance seulement, et que c’est uniquement à ce point de vue que nous affirmons l’union indissoluble du sujet et de l’objet.

Il résulte clairement de ce qui précède que « la matière per se, l’univers matériel tout entier est de toute nécessité et absolument inconnaissable en lui-même », c’est-à-dire indépendamment d’un sujet. Le matérialisme, nous entendons par là le système qui reconnaît une existence absolue, indépendante, à la matière, s’appuie sur la contre-partie de cette quatrième proposition. Cette doctrine est très-répandue, et elle n’a pas de meilleur argument en sa faveur que cette fausse assertion : nous connaissons la matière per se, en elle-même, indépendamment de toute conscience de nous-même. Il n’est pas nécessaire, sans doute, de la réfuter au point où nous en sommes, ni de rappeler que si nous perdons de vue, en quelque manière, notre moi, quand nous considérons les objets extérieurs, cet oubli, ce défaut de conscience est plutôt apparent que réel.

Le faux idéalisme, pour lequel il n’existe aucune matière, accorde au contraire que, par une loi nécessaire et supérieure, nous ne pouvons connaître en lui-même le monde extérieur, et cette doctrine, si l’on se place à ce point de vue, ne paraît plus aussi étrange qu’elle le paraissait d’abord. Mais elle n’est pas plus exacte que le matérialisme. L’erreur, de part et d’autre, vient de ce que les philosophes de ces deux écoles ont voulu aborder les problèmes de l’ontologie, avant d’avoir résolu avec la dernière rigueur ceux de l’épistémologie, et faire passer la science de l’Être avant celle du Connaître.

Pour nous, nous savons comment il faut répondre à cette question préliminaire : y a-t-il une loi nécessaire qui nous empêche de connaître la matière en elle-même ? Nous savons que la synthèse de l’objet et du sujet ; X + Y, est seule connaissable, et qu’aucune intelligence, en vertu d’un principe de raison, ne peut connaître séparément ces deux termes. La notion de matière en elle-même est