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qu’elle a pour but de détruire ou de confirmer. Nous sommes obligés, dans notre analyse, d’isoler les trois éléments ; mais en réalité ils se trouvent contenus l’un dans l’autre et demeurent distincts sans être séparés. La méthode est donc triple dans son unité et une dans sa triplicité.

Si les considérations qui précèdent sont fondées, on a longtemps négligé et l’on néglige souvent encore, dans l’enseignement ordinaire de la logique et dans les traités sur l’origine de la connaissance, de faire sa place légitime au principe producteur de la science : la faculté d’invention qui constitue le fait essentiellement personnel du génie. La spontanéité de la pensée individuelle est méconnue ; elle se trouve étouffée sous les éléments impersonnels de l’expérience et de la raison. Rétablir la place et la valeur de l’individualité, c’est déposer dans le sol de la philosophie un germe dont le développement produira des fruits abondants de vérité. Les historiens futurs de la philosophie s’étonneront probablement, un jour, de la grave lacune de nos théories de la méthode. La tentative d’expliquer l’origine de la connaissance humaine sans faire la place de l’hypothèse, leur paraîtra semblable à celle d’un savant qui voudrait expliquer la marche d’une montre en oubliant le ressort, ou le mouvement d’une locomotive sans faire mention de la vapeur.

On se méprendrait gravement sur la portée de ces considérations si l’on pensait qu’elles doivent avoir pour effet d’augmenter l’emploi de l’hypothèse : il est impossible d’augmenter l’emploi d’un procédé de la pensée toujours et nécessairement en exercice. Marquer la place de l’hypothèse c’est, au point de vue théorique, affirmer contre tout rationalisme et tout empirisme, la valeur de la personne humaine dans le domaine de la science. Au point de vue pratique, c’est donner aux savants la conscience claire de la méthode qu’ils emploient, et les rendre par là même attentifs à ses abus. Dans l’ordre moral, une passion est d’autant plus dangereuse qu’elle est ignorée ; la mettre en évidence, c’est engager à la surveiller. De même, signaler l’action toujours présente de la faculté de supposer, c’est appeler l’attention sur la nécessité de contrôler cette action, et pour cela de discerner les caractères qui rendent les hypothèses sérieuses, et les distinguent des simples conjectures dont on ne doit pas encombrer le sol de la science. Cette étude est particulièrement opportune dans la disposition actuelle des esprits. Après les synthèses brillantes et prématurées de la physique cartésienne, les sciences de la nature se sont préoccupées surtout d’analyser et de distinguer les classes de phénomènes. De cette tendance sont nées la théorie de la multiplicité des fluides, en physique, et la multiplication indéfinie des espèces, en