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de vue de la physique entendue dans un sens très-général, c’est-à-dire de la science totale du monde matériel. La géographie scientifique, combinée avec la météorologie, étudie les conditions de ce qu’on peut appeler la vie du globe. Laplace, embrassant dans sa pensée l’ensemble du système solaire, écrit : « Il semble que la nature ait tout disposé dans le ciel pour assurer la durée du système planétaire, par des vues semblables à celles qu’elle nous paraît suivre si admirablement sur la terre, pour la conservation des individus et la perpétuité des espèces[1]. » Dans ces lignes, l’organisation générale du monde est considérée comme ayant pour but d’assurer la stabilité du système. Laplace lui-même observe que cette stabilité peut n’être que provisoire, et que notre monde pourra mourir comme les espèces éteintes d’animaux et de plantes. Cette vue a été reprise par quelques modernes. En partant de la théorie mécanique de la chaleur, ils ont cherché à prévoir les destinées finales de l’univers. M. Clausius en particulier, tout en nous rassurant sur la proximité de l’événement, considère les lois des phénomènes cosmiques comme devant amener l’univers à « un état de mort persistante[2]. » Si ces vues obtenaient une confirmation assez sérieuse pour prendre place dans les théories vraiment scientifiques, nous posséderions une conception biologique de l’univers matériel. Nous le verrions, par la pensée, s’organiser à partir de la nébuleuse primitive, et tendre à sa fin par une marche régulière. Mais, dans le cas même où une généralisation si haute deviendrait possible, la ligne de démarcation entre la physique et la biologie subsisterait. En effet, le monde ne nous est pas donné, de même qu’un animal ou une plante, comme un tout extérieur offert à notre observation. La naissance, la vie et la mort des êtres organisés sont des faits que nous constatons, et que nous cherchons à expliquer au moyen de diverses hypothèses, tandis que la vie du monde, sa naissance et sa fin sont des hypothèses à vérifier, et non des faits constatés dont on cherche l’explication.

Les hypothèses relatives au monde physique dirigées par l’idée de la finalité franchissent inévitablement les bornes de la physique même pour aborder la question des rapports de la matière inorganique avec la vie. Si l’on fixe, par exemple, son attention sur les aurores boréales qui paraissent le résultat de conflits électriques, et sur les orages électriques qui existent en permanence sur quelque

  1. Exposition du Système du Monde, à la fin.
  2. Le second principe fondamental de la théorie mécanique de la chaleur, — discours prononcé au Congrès des Naturalistes Allemands de 1867. Voir la Revue dès Cours scientifiques du 8 février 1868.