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ainsi que la vertu fébrifuge du quinquina est une donnée d’expérience ; ce médicament est appliqué sans qu’on possède aucune notion sur l’action immédiate dont la guérison de la fièvre est la conséquence. D’une manière plus générale, le nom d’une maladie désigne le plus souvent un ensemble de troubles fonctionnels dont l’expérience a montré le lien, sans que la racine première du mal soit connue ; et l’on applique le traitement dont l’expérience a prouvé l’efficacité. La médecine scientifique a une plus haute ambition. Elle aspire à déterminer la nature primitive des maladies, c’est-à-dire le désordre fondamental auquel il faut remédier, et dont la suppression ferait disparaître l’ensemble des accidents qui ne sont que ses conséquences. La nature du choléra est encore inconnue. On traite cette redoutable maladie par des procédés empiriques. On combat par des moyens appropriés, les crampes, le refroidissement, la suspension des fonctions sécrétoires… mais il est manifeste que le savant qui réussirait à déterminer l’origine première du mal ouvrirait la voie à un traitement rationnel. Les uns considèrent le choléra comme une maladie due à des parasites, d’autres comme une affection du grand sympathique, etc., mais aucun de ces systèmes n’a été confirmé par l’expérience[1]. Si la cause première du mal est découverte, un jour, elle ne le sera que par le moyen d’une conjecture vraie. Il en est de même dans le domaine entier de la médecine. Entre l’examen d’un malade et la prescription du docteur intervient toujours le diagnostic, c’est-à-dire une supposition, vraie ou fausse, sur la cause des symptômes observés. C’est pourquoi les connaissances scientifiques les plus étendues ne sauraient remplacer dans l’art de guérir le tact médical qui n’est que la faculté de faire promptement des suppositions justes. On remarque, dans les concours des facultés de médecine, des élèves qui possèdent à fond la théorie, et qui commettent les bévues les plus étranges dans le diagnostic. Je demandai un jour à feu le docteur Rilliet, l’éminent collaborateur du docteur Barthez : « Si, pour vous faire soigner dans une maladie, vous aviez le choix entre Hippocrate muni des faibles connaissances de son époque, mais doué du génie que nous lui attribuons, et un jeune docteur de talent ordinaire, mais riche de toute la science médicale de nos jours, qui choisiriez-vous ? » Il me répondit à l’instant : « Je choisirais Hippocrate. » L’art de déterminer des causes est le fond essentiel du génie de la médecine, et on ne détermine les causes que par la voie de l’hypothèse.

Là recherche des fins se présente dans des conditions logique-

  1. Fernand Papillon. La nature et la vie, page 368.