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des hypothèses et n’en préfère aucune ; mais il sait et il dit qu’aucune de ces causes, réelles ou supposées, ne démentira l’enchaînement naturel et fatal des choses. »

Fort bien. Il y a pourtant dans l’épicurisme un tel souci de la paix, de la quiétude morale, le sentiment et la recherche du bonheur l’ont si bien envahi tout entier que, souvent, la science, nul ne saurait le nier, y est à peu près sacrifiée. Le mysticisme particulier qui peu à peu émane de l’ataraxie épicurienne, s’accorde assez bien avec l’abdication de tout savoir précis et sûr. Et même, pour pousser l’analyse encore plus loin, n’est-il pas permis de dire que dans toute doctrine où vient à prédominer l’influence morale, la science perd d’autant ? La philosophie critique qui arrive à faire de la morale comme l’unique vérité accessible, n’a-t-elle pas, en effet parfois, inquiété, par son renoncement, en Allemagne surtout, les destinées de la science positive ? Il y a là un rapprochement instructif : il semble, comme l’a remarqué Thomas Buckle, que toutes les fois que la science et la morale entrent en conflit, c’est encore la science qui souffre le plus.

Il n’appartient pas à la Revue de signaler les mérites littéraires de la traduction de M. Lefèvre. Qu’il suffise d’en remarquer l’exactitude toute technique, principalement peut-être en ce qui concerne les parties si difficiles et si subtiles, où Lucrèce explique le mécanisme des sens, la vue, l’ouïe, la saveur, l’odeur et le tact. Avoir rendu si nettement la poésie matérielle de cette psychologie, n’est-ce pas aussi un mérite philosophique ?

A. Gérard.