Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
106
revue philosophique

tion où celui-ci s’était arrêté définitivement. Nous n’exagérons rien. « De quelque façon, dit M. Turbiglio, que l’on considère Spinoza, ou dans ses manifestations intuitives ou dans ses manifestations logiques, il est un des champions les plus considérables de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme humaine. » Voilà comment le savant écrivain s’est laissé prendre à un effet de perspective qu’il avait lui-même ménagé. Peut-être pensera-t-il que nous nous trompons nous-même en nous obstinant avec les deux siècles précédents à chercher Spinoza dans l’Éthique et dans ses Lettres plutôt que dans son livre. Il avait un moyen simple de nous épargner cette illusion : que n’a-t-il pris soin de signaler les preuves de fait, les indices tout au moins tirés de l’histoire qui l’autorisent à croire que Spinoza a en effet varié sur les points essentiels de son système ? Que ne produit-il le désaveu par lequel le second Spinoza condamne le premier ? Que ne nous montre-t-il un mot, un seul mot du texte original qui dans l’exposition d’une des parties du système démente explicitement les autres ? Mais non, nous avons cherché en vain de telles preuves dans le livre de M. Turbiglio. Nous y trouvons de nombreuses citations de l’Éthique ; mais dans les premières pages les citations empruntées aux derniers livres de l’Éthique sont nombreuses, comme dans les dernières, les citations empruntées aux premiers. Toutes se concilient dans la solide unité du système. Par exemple, nulle part Spinoza n’a dit que l’Individualité de l’âme humaine soit de quelque autre nature que de l’individualité du corps correspondant, c’est-à-dire soit autre chose qu’une unité d’action, un certain rapport entre les parties, (Voir trad. Saisset, tome III, p. 65). L’effort, le désir, la volonté, ne sont pas pour lui d’un autre ordre que l’affirmation et la négation ; purs modes de la pensée, ils s’expliquent tout entiers par elle et par les modes de l’étendue correspondants. Si l’on prend les mots non dans le sens ordinaire, qui est dynamiste, mais dans le sens que Spinoza leur attribue par des définitions explicites, on voit à n’en pouvoir douter, que d’un bout à l’autre du livre tout se tient, tout s’enchaîne et que les oppositions apparentes ne sont pour lui que des occasions de rappeler au lecteur le point de départ de la ligne invariable où il le pousse. En pouvait-il être autrement, alors que Spinoza qui avait arrêté longtemps avant sa mort le plan et le contenu de son grand ouvrage l’a gardé dans ses papiers, une fois rédigé, pendant de longues années sans, y changer un théorème ? De deux choses l’une : ou la pensée de Spinoza a subi des transformations, et alors montrez-moi des faits, citez-moi des dates qui l’établissent, ou si ces dates et ces faits font défaut, s’il est certain, au contraire, que dès 1661 la forme géométrique et l’ordonnance de l’Éthique étaient définitivement fixées, et que pendant seize ans l’auteur n’y a point apporté de modifications, prenons ce livre tel que l’auteur nous l’a laissé en mourant, c’est-à-dire comme un tout simultané dont toutes les parties avaient dans sa pensée, jusqu’au dernier moment, une importance égale : voyons Spinoza non dans une composition mouvementée où l’imagination d’un moderne a fixé