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trop loin dans mon hypothèse, et je l’abandonnerais pour le moment. Mais je ne songe jamais à raisonner ainsi : — Je m’efforce avec persévérance de reproduire exactement la première expérience, fermement convaincu que, dans les mêmes conditions, les mômes effets se produiront. La notion de l’unité essentielle de l’effet, de la cause, et des conditions, et non pas l’hypothèse de l’uniformité de la nature : voilà ce qui me paraît être la véritable raison de mon effort persévérant pour répéter exactement la même expérience, dans le but d’obtenir le même résultat. Le principe de M. Lewes offre une base solide à la recherche scientifique, justement parce qu’il porte si haut cette vérité, en apparence banale, que tout ce qui est, est et sera aussi longtemps que les conditions demeurent invariables. Le postulat de M. Bain est renversé par chaque nouveau phénomène qui surgit dans le champ de l’expérience ; parce que chaque apparence nouvelle prouve que la nature n’est pas uniforme. Une telle hypothèse n’est d’aucun secours dans la recherche scientifique ; et d’autre part, elle est convaincue d’impuissance par chaque variation que l’on observe dans un univers éternellement variable.

Le professeur Bain se déclare disposé à accepter la proposition de M. Lewes, pourvu que celui-ci soit prêt à recevoir le temps et l’espace au nombre des conditions : mais, à coup sur, on ne devrait rien demander de semblable à M. Lewes. En quelque sens qu’on puisse dire que la nature est vraiment uniforme, notre foi à cette uniformité ne dépend pas du tout d’une hypothèse qui exclut le temps des conditions, mais de l’assurance, donnée dans tous les faits primitifs de la conscience, que tout ce qui est, est et continue ainsi jusqu’à ce que les conditions (quelles qu’elles puissent être) soient modifiées. Je combine de l’oxygène et de l’hydrogène, je suppose, à huit heures du matin, et je ne réussis pas à obtenir de l’eau. Me viendra-t-il jamais à l’esprit, en pareil cas, que je pourrais réussir à six heures du soir (toutes les particularités de l’expérience demeurant exactement identiques) ? Cependant pourquoi ne croirai-je pas ainsi, du moins par occasion, à l’efficacité possible du temps comme agent causal, si jusqu’à présent je n’ai fait que supposer que ce n’est pas un agent de cette nature ? Au contraire, je recherche invariablement la cause de mon insuccès dans quelque défaut de l’expérience, et je ne m’attendrai jamais un seul instant à un résultat différent pour avoir simplement ajourné ma tentative. N’est-ce pas là une preuve positive que la cause, la condition et l’effet se sont établis dans mon intelligence comme formant essentiellement un seul tout, et que le temps n’est jamais regardé en lui-même comme une cause, mais seulement comme une abstraction ou une généralisation : c’est le lieu, pour ainsi dire, où toutes les causes fonctionnent ; ce n’est, en aucune manière, un agent. La nature purement abstraite de l’espace pourrait être semblablement mise en lumière.

En somme, il me semble que ces deux penseurs considèrent en réalité deux questions distinctes. Le principe de M. Lewes est que, les