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Et moi, souriant et attendri, il m’arrive au cours de ce morceau ceci de paradoxal d’évoquer tantôt les Trois joyeux chasseurs de Caldecott, transportés en pleine poésie, tantôt les Promenades d’un rêveur solitaire, d’un rêveur solitaire qui serait vierge et un peu dadais comme Siegfried, mais catholique et contemplatif comme saint François. L’oiseau lui fait aussitôt penser non à la plus belle des femmes, dormant entourée de feu, mais au bon Dieu. Et comme toujours, lorsque Bruckner pense à Dieu ou prie, un petit bout de choral. Et alors la promenade sentimentale magnifiquement s’exalte, comme arrivée en vue d’un beau couchant. Et tout aussitôt, vérifiez, le promeneur de ce mouvement instinctif, qui suit la contemplation, s’est retourné vers le sens opposé, vers le Nord ou l’Orient, où monte la nuit violette et crue, contraste subit du chaud et du froid, du pourpre doré et du lilas-mauve terne. La promenade se poursuit, l’homme regarde à ses pieds, s’arrête pour écouter encore un cri, une clameur ; mais plus d’oiseau, cette fois. Il se reprend à marcher. Je ne chercherai pas à caractériser tous les épisodes de cette promenade (dont la succession serait à la merci d’une coupure de Lassalle), cette dalle de bronze, que le pied heurte et qui tout à coup rend un son funèbre, rencontrée près d’un oratoire, dans ce pays catholique, peuplé des témoignages de la pitié populaire ni les gazouillis, les lianes du grand crescendo et la belle couronne de tours cuivrées, la ruine de feu au haut de la colline. Et au delà, l’on s’en détourne pour le bois multiple et charmeur : nous rentrons dans la nature sauvage. Voici les écroulements de gros blocs granitiques, le cirque de rochers froid, et, en l’air, impériale, et encore gardant le reflet du soleil couché, la forteresse des hautes cimes. Alors de là le dernier regard sur l’horizon. Par tronçons, tout se dérobe sur un long battement de timbales. Nuit. Appréhensions. Menaces en suspens. Battement de timbales. Sensation de lointain et de mystère. Des appels égarés s’entre-échangent. C’est la nuit, lente et douce. Le battement de timbales s’apaise. — Bruckner alors ne savait rien de la Scène aux champs de Berlioz.

Il est clair qu’un tel morceau, en soi, suffirait à représenter