Page:Revue du Pays de Caux n2 mars 1903.djvu/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
UN PASSÉ COMPLIQUÉ

empiètant tour à tour les unes sur les autres, de 293 princes se remplaçant et se détrônant sans cesse, de 83 guerres civiles, enfin se succédant presque sans trêves. Cela n’empêcha ni de grandes villes comme Novgorod de prospérer rapidement ni l’influence Byzantine de continuer à s’exercer d’une façon ininterrompue ; les princes Russes tenaient les yeux fixés sur Byzance, y cherchaient leurs épouses, y puisaient des inspirations ; ils semblaient, en terre encore à demi-civilisée, les vice-rois d’une puissance suzeraine plus éclairée. Après le règne de Wladimir (1113-1125) l’anarchie augmenta : ce prince notait sans doute autour de lui les symptômes d’une décadence irrémédiable, car une résignation mélancolique se reflète dans le fameux testament qui lui a fait décerner le surnom de « Marc-Aurèle Slave ». La prise et le pillage de Kiew en 1169 mirent fin à l’œuvre de Rourik ; on put croire un instant que sur les ruines de cette œuvre, les Russes du Nord allaient en édifier une autre. Très différents déjà de ceux du Sud, organisés d’une façon plus simple, avec un pouvoir plus fort pour les conduire et des vertus plus rudes pour les soutenir, ces Russes du Haut-Volga transformés par les croisements Finnois étaient à même d’entrer dans l’histoire et d’y jouer dès ce moment un rôle. Mais un grand événement allait venir prolonger leur triste et pénible enfance ; le joug Mongol devait achever de tremper leur organisme et d’en faire l’un des plus résistants de l’Europe. Vaincus en 1224 sur les bords de la Kalta, les Russes virent bientôt déborder sur eux l’énorme invasion Asiatique ; Batou, petit-fils de Gengiskhan, après avoir balayé toute la région des steppes jusqu’aux portes de l’Allemagne, fixa à Saraï (aujourd’hui Tsarow), près du Volga, sa capitale et le siège de la fameuse Horde d’or ; la domination Tatare s’établit pour plusieurs siècles.

L’influence ethnique en devait être minime ; c’est un fait général que l’incapacité de ces races Asiatiques à se mêler à un peuple qu’elles oppriment ; elles se superposent à eux et ne les pénètrent pas ; mais il n’en faudrait point conclure que l’influence morale soit négligeable. La Grande Russie porte encore de nos jours un cachet d’asiatisme qui, précisément, la distingue des autres Russies ; que cette caractéristique soit bonne ou mauvaise en soi, il faut bien reconnaître en tous cas que, sans la Horde d’or, l’empire moscovite n’aurait pu naître. Nous avons déjà remarqué à quel point les Slaves éprouvaient de difficultés pour se constituer en communautés distinctes et surtout pour s’unifier. La politique très