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souvent répétée de Gilgamès sur Eabani, où revient le doux nom d’ami, avec une insistance si touchante.

Dans ces âmes antiques, partagées entre l’amour et l’amitié, déjà se fait jour aussi la pitié, sentiment mystérieux, né, s’il faut en croire ce sage de Chaldée, au cœur d’une femme, mais épelé d’une façon intelligible par une voix d’homme. A sa femme, visiblement émue de la souffrance de Gilgamès, Samas-napistim adresse cette parole, sublime dans sa simplicité : « Tu souffres, je le vois bien, de la souffrance de l’humanité ! »

Mais l’intérêt général du poème n’est point tout entier dans de tels sentiments. L’homme, en effet, ne s’y découvre pas à nous seulement par ce côté extérieur, mais encore dans ce qu’il a de plus intime, dans son fonds de religiosité native.

Aux temps anciens, l’homme sans cesse aux prises avec une nature rebelle, peuplée de monstres et de bêtes féroces, toujours en guerre avec ses semblables, ses pires ennemis, eut beaucoup à peiner et à souffrir. Ainsi voyons-nous Gilgamès et Eabani lutter sans paix ni trêve contre Humbaba, le taureau divin, les lions... Dès cette époque d’ailleurs, l’homme était divisé avec lui-même. Toujours désireux du bien, souvent il faisait le mal, où l’entraînait sa nature violente. Aussi vécut-il longtemps sous le coup d’une menace perpétuelle, car, il se reconnaissait coupable et n’ignorait point que les pécheurs encourent de terribles châtiments de la part des dieux. On racontait, en effet, qu’autrefois, à cause de la corruption de la ville de Surippak, la terre entière avait été noyée, de par le dieu Bel, dans un déluge, auquel Samas-napistim n’avait échappé, que grâce au dieu Ea, à cause qu’il était juste.. Que faire, en cette extrémité, sinon se tourner vers les dieux et tenter de les apitoyer