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un dévouement antique. De Thou, son ami, serait plus vrai, s’il n’avait pas des distractions si gauches, et une incurie si exagérée des affaires politiques. Mais avec ses fautes et ses beautés, Cinq-Mars est une des meilleures études que nous ayons de la manière de Walter Scott.

STELLO, ou les Diables bleus, première consultation du docteur noir, in-8, 1836. — Si Dieu vous a fait poëte, il doit sonner pour vous certaines heures où l’imagination descendant des portes du ciel vous ramène sur la terre au milieu de ses fatigues et de ses misères ; certains moments où, dévoré par une secrète inquiétude, à laquelle il vous est d’ordinaire impossible d’assigner une cause précise, vous restez plongé dans un abîme sans fond de découragement et d’ennui. Bientôt, vous sentez autour de vos cheveux tous les diables de la migraine se mettre à l’œuvre sur votre crâne pour le fendre. Cela s’appelle avoir les diables bleus. — Un soir, la pauvre tête de Stello était mise en état de siége par tous ces méchants diables. Le docteur noir, pour le guérir, lui raconte trois histoires de trois nobles et saintes infortunes : la mort du poëte Gilbert, celle de Chatterton et celle d’André Chénier. Gilbert, fils d’un pauvre laboureur, quitte les champs et les jours paisibles qu’on y coule dans l’obscurité, pour la vie bruyante et inquiète de Paris ; il cherche à se frayer un chemin à travers tant de réputations qui se serrent pour empêcher aucun nom nouveau de se glisser parmi elles. Dans toute sa force et toute sa verdeur, soutenu par l’espérance, cette compagne du poëte, il coudoie toutes les célébrités littéraires pour pénétrer dans leurs rangs : rebuté par le dédain, il s’attaque à leurs couronnes et à leur gloire, cherche à les effeuiller et à froisser leurs fleurons dans leurs doigts irrités ; puis accablé d’outrages, d’injures, de mépris et d’oubli, il se jette furieux sur le siècle qui le repousse. Enfin, dompté, précipité dans la misère et le désespoir par ce siècle plus fort que lui, il va tomber mourant à l’Hôtel-Dieu, et c’est dans un lit d’hôpital qu’il râle son dernier soupir et son dernier chant de poëte. — Chatterton, comme Gilbert, sans naissance et sans fortune, veut se faire un nom par ses vers. Repoussé à son début, il redouble de zèle et d’efforts, lutte contre la misère ; puis vaincu par la faim, il frappe aux portes des grands, fait antichambre chez les nobles : dédaigné, méprisé, il retombe dans son désespoir et sa pauvreté. Mais au lieu d’engager un combat comme Gilbert envers son siècle, il se résigne au suicide et se tue lui-même pour épargner la honte de sa mort à ses contemporains. — André Chénier, que la fortune avait placé au-dessus de la misère qui avait mis au tombeau Gilbert et Chatterton, croyait, dans une position élevée, pouvoir se livrer tranquille et heureux à son