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génie de Richelieu, il ne lui ôte rien de sa grandeur naturelle. Voyez le même homme qui vient d’organiser tout à l’heure un assassinat dans l’ombre, quand il reparaît en public et se montre à l’Europe, combien il a de hauteur et d’éclat ! Voyez-le, maître du secret de toutes les cours, faisant faire la part de la France dans tous les cabinets et sur tous les champs de bataille ; à l’armée, sous la cotte d’armes, gagnant et préparant des victoires, et envoyant Louis XIII se battre dans la mêlée comme un obscur capitaine, pour le dédommager de sa nullité dans les conseils, et lui donner la petite gloire de mieux manier l’épée que son ministre : voilà tout Richelieu ; c’est un portrait plein où la donnée historique est de moitié avec la fiction du poëte. Louis XIII est peint de la même manière, avec ce qui a été dit et écrit de lui, et avec ce que le poëte a pu deviner sous le silence et la discrétion des contemporains. Louis XIII et Richelieu se haïssaient à la mort : Louis XIII parce qu’il se sentait l’esclave d’un homme supérieur ; Richelieu parce qu’il méprisait Louis XIII : tous deux ne pouvaient se passer l’un de l’autre, le roi pour ne pas succomber sous sa royauté, le ministre pour régner sans les risques ni les périls de l’usurpation. Il faut lire dans le roman cette scène où Louis XIII attend Richelieu dans sa tente, au camp devant Perpignan : comme il est gai, dédaigneux, ce pauvre prince, quand son ministre n’est pas là ! comme il se raille de son cousin le cardinal ! comme il s’entend dire avec joie, par sa frivole cour, qu’il est fort, qu’il est roi ! Richelieu paraît : le cœur du roi se serre devant cet œil pénétrant. Richelieu offre sa démission ; et Louis, qui devait se sentir si à l’aise de n’être pas forcé de la lui demander, double les honneurs de son ministre ; et ceux qui lui disaient qu’il était fort, qu’il était roi, s’en vont le répéter à Richelieu. Il faut lire encore l’admirable scène où le cardinal, lors du refus généreux du roi, dont il sollicite la signature au bas d’un arrêt de mort, le quitte brusquement et le laisse dans son cabinet, seul, au milieu de dépêches dont il ne sait pas le secret, de notes mystérieuses où il se perd, d’ambassadeurs dépaysés qui n’ont que le mot du ministre, et, dans l’impuissance d’être roi pendant une heure, rappelant l’implacable Richelieu, et prêtant sa main tremblante à la sentence de mort. — Ces deux personnages sont les deux plus dramatiques et les mieux tracés du roman. La critique trouverait à reprendre dans le reste. Cinq-Mars n’est pas de son temps, parce qu’il est de tous les temps ; c’est un héros de roman comme on en voit tant, vif, passionné, impétueux ; il a plus d’éclat dans l’histoire, où son nom n’est guère prononcé qu’une fois, mais avec un pur souvenir de sacrifice et de malheur. Son amour pour Marie de Gonzague, petite princesse gracieuse et jolie, rapetisse un peu la conspiration, où on aimerait à retrouver