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dans ce roman ni des aventures tragiques, ni des guerres civiles, ni de grands crimes, ni des échafauds dressés. L’auteur a sagement pensé qu’un roman ne devait être autre chose que le tableau des mœurs domestiques, l’histoire de la famille, et qu’il était au moins inutile d’y rappeler les grandes agitations, les révolutions des sociétés. En général, chacun aime à retrouver dans un roman ses propres sentiments, l’histoire de son propre cœur ; les situations extraordinaires dans lesquelles les romanciers placent leurs personnages, l’histoire des grands crimes, le tableau des grandes infortunes, ne sont point ce qui intéresse et ce qui remue le plus fortement notre âme. Il faut remarquer encore que, lorsqu’on lit un roman, on s’identifie en quelque sorte avec les personnages, on s’associe à leur sort, on ressent tous leurs plaisirs, on partage leurs peines ; il nous semble donc, d’après cela, que les romanciers devraient prendre pitié de leurs lecteurs, et ne pas les condamner à mille supplices qu’ils n’ont pas mérités. On ne fera point ce reproche à l’auteur d’Eugène de Rothelin ; son héros est un honnête homme qui a écrit les mémoires de sa vie, et sa vie n’a rien d’extraordinaire. L’action est peu compliquée ; elle commence par une scène champêtre, et la teinte douce qui règne dans le premier tableau semble se réfléchir sur tous ceux qui suivent : rien n’y est recherché, rien n’y est exagéré, et le lecteur est ému sans être agité ni surpris. Un père tendre et bon, qui a été trompé dans ses affections, et qui conserve des préventions injustes ; une grand’mère qui joint les grâces de l’esprit à l’expérience de son âge, et qui a connu le monde sans le haïr ; une jeune femme qui, dès l’âge le plus tendre, a connu le malheur, et qui s’attache à celui qui doit la consoler et la rendre heureuse ; un jeune homme d’une imagination vive, d’une âme ardente, placé entre la piété filiale et l’amour, qui reste fidèle à ses sentiments sans jamais manquer à ses devoirs, tels sont les personnages du roman, où le lecteur n’est point ému par des situations fortes, mais qui n’en est pas moins rempli d’intérêt. Ce qui prouve une vérité qu’on ne saurait trop redire aujourd’hui, c’est que le tableau des grandes catastrophes est moins propre à nous intéresser que l’expression des sentiments et la peinture simple et fidèle de tout ce que le cœur humain a de bon et de généreux.

*EUGÉNIE ET MATHILDE, 3 vol. in-12, 1811. — Dans ce roman, l’auteur a représenté au complet l’intérieur d’une famille noble pendant les années de la révolution. M. de Revel, toujours en attendant un garçon auquel était substituée sa fortune, était devenu père de trois filles : Ernestine, l’aînée, confiée aux soins de Mme  de Couci, sa grand’mère, était un composé d’indifférence et de petites prétentions ; Mathilde, la seconde, était restée auprès de