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pha et lire des romans nouveaux donnait une assez bonne idée des joies du paradis, combien cette béatitude ne serait-elle pas encore augmentée, si le génie de l’homme pouvait enfanter un nouveau Gilblas. » — Plusieurs traits de ce roman ont passé en proverbe, comme, par exemple, les homélies de l’archevêque de Grenade ; l’interrogatoire des domestiques de Samuel Simon est digne de Molière ; et quelle sanglante satire de l’inquisition ! ailleurs, quelle peinture de l’audience d’un premier commis, de l’impertinence des comédiens, de la vanité d’un parvenu, de la folie d’un poëte, de la mollesse des chanoines, de l’intérieur d’une grande maison, du caractère des grands, des mœurs de leurs domestiques ! c’est l’école du monde que Gilblas. On reproche à l’auteur de n’avoir peint que des fripons ; qu’importe, si les portraits sont reconnaissables ? Il a fait d’ailleurs son métier, car le roman et la comédie sont un genre de satire. On lui reproche trop de détails subalternes ; mais ils sont tous vrais et aucun n’est indifférent ; on connaît les personnages de Gilblas, on a vécu avec eux, on les rencontre à tout moment ; pourquoi ? parce que, dans la peinture qu’il en fait, il n’y a pas un trait sans dessein et sans effets. Le Sage avait bien de l’esprit ; mais il met tant de talent à le cacher, il aime tant à se placer derrière ses personnages, il s’occupe si peu de lui, qu’il faut avoir de bons yeux pour voir l’auteur dans l’ouvrage, et apprécier à la fois l’un et l’autre. — Gilblas était un livre fait pour plaire aux ignorants, aux érudits, aux gens du monde et aux hommes de tous étages : la narration pure, facile, saillante, entremêlée d’historiettes bien racontées et d’un ton divers, attacha les premiers ; de fréquentes imitations des anciens et des traits peu communs cités à propos en rendirent la lecture précieuse aux seconds ; les troisièmes y rencontrèrent une galerie de portraits au bas desquels ils étaient enchantés de mettre le nom : tout Paris savait que le docteur Sangrado n’était autre chose qu’Helvétius. Les poëtes, les comédiens, les comédiennes, les hommes et les femmes célèbres s’y trouvaient peints avec le costume espagnol, et plus d’une anecdote française y est racontée sous des noms castillans. Enfin Gilblas, après avoir reçu une bonne éducation, tombant entre les mains d’une troupe de voleurs qu’il abandonne pour passer successivement au service d’un chanoine, d’un médecin, d’un philosophe, d’un petit-maître, d’une actrice, d’une jeune fille de qualité, d’un vieux seigneur, d’une grande dame qui tient un bureau d’esprit ; devenant intendant d’un grand d’Espagne, secrétaire de l’archevêque de Grenade, puis d’un marquis portugais, puis factotum d’un comte sicilien ; Gilblas, commis et favori du premier ministre, le duc de Lerme, prisonnier d’État et finissant par se retirer à la campagne, essayant ainsi de