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Halle, et un beau jour il quitta l’université pour entrer dans les gardes du corps du roi de Saxe. Ici commença le roman de sa vie. En prenant l’uniforme d’officier, il devint dandy et homme à bonnes fortunes. Quelques-unes de ses années se passèrent ainsi dans un enchaînement continuel de rêves d’amour et de joies féeriques. À la fin, le héros des salons de Dresde se lassa de toutes ses conquêtes ; il fit atteler les chevaux à sa voiture et s’en fut visiter les Alpes. À son retour, il devint, par la mort de son père, maître de sa vaste seigneurie. En 1813, il rentra au service, et le duc de Weimar le choisit pour aide de camp. Plus tard, il fut envoyé en mission en France et en Angleterre, revint en Allemagne, et vécut dès lors tantôt à Dresde, tantôt à Berlin, et le plus souvent à Muskau ; car il sentait de jour en jour s’accroître le sentiment de tristesse qui, de bonne heure, s’était manifesté en lui ; il fuyait les hommes et se plongeait dans la solitude. Bientôt cette solitude elle-même lui parut monotone. Il se sentit fatigué de voir toujours le même monde, et il partit. Il partit, non plus comme la première fois avec un cœur jeune, avec une imagination toute pleine de chimères ; les jouissances du luxe avaient émoussé ses forces, la satiété avait amené le dégoût ; il se trouvait enfin atteint d’une vague douleur qu’il porte de contrée en contrée, mais qu’il porte avec esprit et qu’il exprime parfois sous la forme d’une sincère et touchante élégie, et parfois aussi sous celle d’une mordante épigramme. Le voyageur passe avec un dédain moqueur au milieu du monde, et fouette sans pitié le ridicule qui le choque, le vice qui l’irrite. Les salons aristocratiques de Londres savent tout ce qu’il y a de finesse dans ses observations, d’amer dans sa critique. Le plus souvent encore, le prince pourrait fort bien se moquer de nous, si nous prenions trop au sérieux sa prétendue tristesse, car il passe avec une charmante légèreté d’esprit d’une heure de bal à une heure de méditation, du mouvement de la foule dans les grandes villes à la solitude dans les montagnes ; tantôt voyageant comme un prince avec ses laquais et sa voiture armoriée, tantôt prenant le sac de l’étudiant, le bâton de pèlerin et parcourant à pied les vallées désertes, les rochers sauvages, partout notant ses impressions, sans trop s’inquiéter de ce qu’elles deviendront. Au fond, il est comme tous les hommes qui ont souffert ; la nature a pour lui un charme mystérieux qu’il a vainement cherché dans le monde. Quand il l’a fuie pendant quelque temps, il y revient avec une nouvelle ardeur, et il la décrit non point avec la majesté de Rousseau, avec la sublime poésie de Byron, mais avec une affection vraie et une grande variété de tons et de couleurs. Les mémoires du prince de Puckler de Muskau sont écrits jour par jour, au hasard de sa plume et de sa pensée, avec